Mea culpa, bad boy

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Le lendemain, Léo m'appela dix fois sur mon portable, quatre fois au bureau, et sept fois sur mon téléphone fixe. J'ignorais tous ses appels. En début de soirée, je reçu deux courriels. Le premier, aux alentours de 19 heures, s'intitulait « Mea culpa, bad boy ». Pour ne pas être tentée de le lire et d'y répondre, je le jetais directement dans la corbeille de ma messagerie. Le second, reçu à 20h30, avait pour titre irrésistible « Ne me quitte pas ». Je décidais de l'ouvrir. Le comédien m'expliquait qu'il avait été terrassé par une tempête intérieure de force dix sur l'échelle de Richter et me promettait une chanson d'amour à capella si j'acceptais de le revoir. Son e-mail s'achevait sur ces mots : « je brûle tout ce que j'aime, pardonne moi ».

J'acceptais de le revoir le soir même, dans mon deux pièces, à 23 heures. A peine arrivé, il exigea des explications. A quel jeu m'amusais-je ? Quel était le motif de mon silence ? Voulais-je jouer à la grande dame ? Je pris un réel plaisir à lui relater mon dîner à la cathédrale Saint-Pierre, tout en omettant soigneusement le manque d'humour et de piquant de Tristan.

- Donc, en résumé, me dit le comédien une fois mon récit embelli terminé, ce pauvre bougre te sort le grand jeu et toi tu restes de marbre. Dis lui de m'appeler, je vais lui apprendre deux ou trois choses.

- C'est vrai, tu en connais un rayon.

- Plus que ton soupirant mielleux ! Je pourrais par exemple lui expliquer que lorsqu'une femme rencontre un homme, elle jauge en un clin d'œil son potentiel en tant que partenaire sexuel. Il ne lui faut que 8,3 secondes pour savoir si elle a envie de coucher avec lui. Conclusion : inutile de faire des simagrées devant un coucher de soleil en parlant de Godard.

- Je ne suis pas d'accord. Beaucoup d'hommes ont une femme à l'usure. Les hommes têtus, insubmersibles, qu'on assaille de contrariétés et qui jamais n'abdiquent forcent notre admiration et on finit par leur céder.

- Pour combien de temps ? Une relation qui naît suite à l'acharnement d'un pauvre diable est toujours bancale. Ce n'est pas la femme qui cède, c'est son égo flatté. Vous n'avez aucune admiration pour ces pauvres bougres que l'attente transforme en flaques de Saindoux.

- En quoi es-tu si différent d'eux ? Il est passé minuit, tu es assis sur mon canapé après m'avoir harcelé de coups de fil et d'e-mails.

Léo me considéra, surpris. Son regard trahissait la réalisation soudaine qu'il n'était peut-être pas si éloigné des flaques de Saindoux qu'il critiquait.

- Je vais te dire une chose qui va peut-être te surprendre, reprit-il d'un air supérieur. Tu ne me plais pas. Ton charme n'opère pas sur moi. Tu as beau me regarder avec tes grands yeux clairs, tes pommettes aristocratiques et ton flegme impérial, tout ça me laisse de marbre. J'ai l'anti-venin.

Il reprit après quelques secondes de réflexion :

- La jolie fille prude, qu'il faut mériter, ça branche peut-être d'autres mecs mais, en ce qui me concerne, ça me fatigue. Ce qui me plaît moi, ce qui m'excite profondément, c'est quand une femme assume pleinement sa sexualité. Toi, que fais tu quand un homme te plaît ? Tu cours te cacher derrière un livre intitulé Dix profils d'hommes à éviter. Tu as tellement peur de te brûler les ailes que tu en deviens ridicule.

J'avalais mon thé de travers et toussais bruyamment. Nos retrouvailles prenaient une tournure inattendue. On était à des années lumières de la conversation légère et spirituelle à laquelle il m'avait habituée. Je me remémorais le deuxième accord Toltèque, « Quoi qu'il arrive, n'en faites pas une affaire personnelle », et répondis sur un ton détaché:

- Notre malentendu vient du fait que tu penses que j'essaye de te plaire alors que je cherche simplement à être ton amie.

Le comédien prit un air amusé.

- Ma chérie, tu crois encore à ces foutaises ? L'amitié homme-femme n'existe pas. C'est une hérésie. Les hommes qui te disent qu'ils veulent être ton ami sont tous des menteurs. Il y a toujours un intérêt sexuel sous-jacent. Tu n'as jamais regardé Quand Harry rencontre Sally ?

- Comment expliques-tu le fait que j'ai beaucoup d'hommes-amis dans mon entourage ?

- De deux choses l'une : soit ces hommes sont gays, soit ils sont frustrés.

- Ou peut-être souhaitent-ils tout simplement jouir d'une amitié complice simple, sans les inconvénients liés à l'amour, aux caprices et à la jalousie. Tu as tort de te priver d'une amitié féminine. Pense à toutes les femmes que tu pourrais rencontrer grâce à moi.

- Des joueuses de Scrabble accros au tofu ? Non merci. Ce qui m'intéresse, c'est les Françaises nymphomanes.

- Les Françaises nymphomanes ?

- Au plumard, il se passe un truc en plus avec les Françaises. Je crois que c'est parce qu'elles ne se lavent pas.

- Qu'est-ce qu'il faut pas entendre comme conneries. 

- Tu ne m'emmèneras pas sur ce terrain. Je ne basculerai pas dans ta « friend zone », le ras le bol général est décrété, répliqua Léo, sur un ton péremptoire qui mit fin à la conversation. 


Jeune EveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant