On m'appelait la flèche

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Dans son best seller l'Amour dure trois ans, Beigbeder raconte que le sexe est une loterie : «deux personnes peuvent adorer ça séparément et ne pas prendre leur pied ensemble. On pense que ça peut évoluer mais ça n'évolue pas. C'est une question d'épiderme».

Victime d'un coup de foudre cérébral, j'avais cédé et j'étais à présent déçue. Notre complicité intellectuelle avait été immédiate. Tout l'inverse de notre entente au lit. Léo était gauche et ses doigts ne trouvaient jamais la cible. Derrière le comédien sex-addict, accro aux étreintes sauvages, défenseur de la polygamie et de mai '68 se cachait-il en réalité un quadra mou ?

Une fois notre étreinte plus que catastrophique terminée, je l'entendis murmurer dans la pénombre, comme pour s'excuser d'avoir été aussi bref : «Ce sont ces foutus antidépresseurs».

- Tu vas être obligé de boire pour oublier maintenant, me contentais-je de répondre d'un ton railleur.

- Je suis complètement pris au dépourvu. Il n'y a pas une goutte d'alcool fort dans le mini bar !

Il soupira.

- C'est peut-être parce que l'amour est quelque chose de moelleux, de tendre, se justifia-t-il encore une fois.

Je l'observais d'un œil faussement attendri.

- Ah Eva, tu ne m'as pas connu au sommet de ma gloire. Elles hurlaient toutes.

- De désespoir ?

- Moque toi. Il y a deux ans, je te fermais un œil à trois mètres ! C'était une spécialité de la maison.

- Si je comprends bien, le jet d'eau de Genève c'est...

- Une ode à moi, parfaitement ! s'écria-t-il en riant. On m'appelait aussi la flèche. Je ne te dirai pas pourquoi.

Quand deux personnes ont pris l'habitude de communiquer sur le ton de l'humour et du second degré, elles deviennent incapables de converser de manière sérieuse. L'humour fini toujours par les rattraper.

En guise de réponse, je lui donnais un coup d'oreiller. Après une bataille de coussins nettement plus réussie que notre sport matelas, je m'effondrais de fatigue aux alentours de minuit.

Lorsque j'ouvris les yeux le lendemain matin, le comédien sortait de sa douche. En me voyant réveillée, il s'exclama :

- Tu te souviens de la rousse ?

Comment oublier ce rouleau compresseur sexuel. Je fis oui de la tête.

- Elle a fait un rêve érotique avec moi cette nuit. Heureusement qu'elle est là, la bougresse. Une vraie femme qui assume ses désirs, pas comme toi.

Il exhiba fièrement son portable sous mon nez. Je lu: « J'ai rêvé que tu trempais ta cuiller dans ma soupe ». Elle n'avait visiblement pas encore testé suffisamment longtemps la cuiller.

- C'est curieux, j'ai aussi fait un rêve érotique avec toi cette nuit.

- Tu deviens enfin digne d'intérêt.

- On jouait au Scrabble et je t'aidais à épeler poutre.

Pour toute réponse, il marmonna « espèce de saleté ». 


Jeune EveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant