Les fils à papa sont les plus mauvais coups de la terre

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Suite à notre verre, Léo ne me donna plus aucun signe de vie, marquant ainsi très clairement son intention de ne pas tomber dans ma friend zone. C'est par hasard que je le recroisais aux Halles de l'Ile, une brasserie surplombant le Rhône. J'avais rendez-vous avec Olivia et comme d'habitude, j'étais en retard. Pire, je n'avais pas eu le temps de faire un détour chez moi pour changer de tenue. Je m'apprêtais à fouler le sol des Halles en chaussures plates, vêtue d'un simple jeans difforme et d'un vieux t-shirt H&M blanc.

Les 750m2 de l'établissement étaient pleins à craquer. Aussitôt arrivée, je fouillais l'immense salle pour tenter d'apercevoir mon amie quand mes yeux s'arrêtèrent pile à l'endroit où se tenait Léo, encore plus tempétueux et théâtral que dans mon souvenir. Assis sur un tabouret, il discutait avec une grande et jolie rousse au teint laiteux. Habillée d'une minuscule robe noire au décolleté plongeant, elle se tenait le dos cambré et les jambes en ciseaux, comme offertes. A chaque phrase prononcée par le comédien, elle riait frénétiquement sous son regard réjoui.

Sans doute les dévisageais-je avec un peu trop d'insistance car il intercepta mon regard et d'un grand signe du bras m'invita à le rejoindre. A contre cœur, je me dirigeais vers lui. Intérieurement, je maudissais mon style sobre qui contrastait avec la tenue sexuelle de la rousse. Léo quitta son tabouret avec un empressement qui déconcerta quelque peu sa rousse et me prit la tête entre ses mains.

- Eva, quelle coïncidence ! Je pensais justement à toi. En voilà une qui a de la chance, lança-t-il à l'adresse de la rousse. Tout est simple dans son monde rempli de pâtisseries vegans, de soleils qui se lèvent et d'amitiés désintéressées. Eva chante encore « un jour mon prince viendra ». Dis-moi, as-tu finalement trouvé ton équilibre spirituel et ton rayonnement intérieur ?

Ses pupilles étaient dilatées et son débit de parole anormalement rapide.

- J'ai fait la fête avec des échangistes toute la nuit, dis-je en dégageant ma nuque de l'emprise de ses mains.

Léo se fendit d'un rire bruyant.

- Ah, c'est très bien ma chérie, tu appliques désormais les évangiles à la lettre : « aimez-vous les uns les autres ». Ça me change des « j'ai bu un thé vert en feuilletant le magazine La vie saine ». Et comment va l'essaim d'hommes-amis qui ne s'intéresse qu'à ton âme ?

Je me contentais d'un simple sourire en guise de réponse.

- Eva est persuadée que l'amitié homme-femme est possible et que tous ses amis hommes l'aiment pour ses qualités intérieures. C'est chou.

La rousse se mit à rire aux éclats en secouant ses seins. J'avais l'impression d'assister à la parade amoureuse de la marmotte, un animal bien connu pour ses sautillements pendant la saison des amours. Me sentant sur le point de partir, le comédien sortit un billet de cinquante francs qu'il glissa promptement dans la main de la rousse.

- Jade, sois gentille, ramène-moi un verre de porto et un sirop de grenadine pour la petite.

Jade se montra contrariée par l'apostrophe de Léo mais se dirigea tout de même vers le bar où une centaine de personnes se bousculaient. En voilà une qui s'est mise sur son soixante-neuf pour rien, pensais-je, satisfaite que Léo m'accorde toute son attention.

- C'est ta nouvelle proie ? dis-je un brin sur la défensive.

- Elle ? Tu débloques complètement !

Il me lança un regard indigné.

- A force de carburer aux légumes, ça ne tourne plus rond dans ta tête. Les grosses bulles gonflées à l'hélium, c'est vraiment pas mon truc. Moi, ce que j'aime, c'est embrasser les enfants pures et conventuelles comme toi. Je t'ai trouvé un nouveau surnom: mon amour vegan. Sans chair...

- Cesse de me prendre pour une idiote.

Il me scruta d'un air amusé.

- Ca fait des mois que je me dévoue corps et âme à toi, que je me plie à tes moindres désirs et exigences, que je me saoule à la tisane. Mais tout ça te passe sous le nez.

Je le fixais d'un œil sévère.

- Bon, d'accord, finit-il par concéder. Si tu veux tout savoir, c'est une pauvresse d'Annemasse qui n'est pas du tout dans ton monde et que j'ai embrassé une fois, par pitié.

- Et ce baiser chaste t'a suffit.

- Est-ce qu'un homme a droit à son jardin secret ?! Si tu veux vraiment tout savoir, j'ai couché une seule fois avec elle. J'avais besoin de faire la vidange. Elle n'a été qu'un dévaloir dans lequel j'ai vidé mes couilles. Elle est bête à bouffer du foin et comme tu le sais, je ne suis pas que visuel, j'étudie aussi les esprits. Pour moi, la bêtise, c'est rédhibitoire. D'ailleurs, ça fait une heure qu'elle me casse les pieds et que j'en ai plein le pif.

J'hochais la tête sans répondre.

- C'est de ta faute, tout ça, reprit-il d'une voix désespérée. Tu n'as pas voulu de moi. Mais je me soigne. J'ai triplé mes doses de Prozac et de Temesta.

- Ça ne t'effraie pas de continuer à faire des choses bêtes ?

Il ignora ma question.

- On boit un thé vert demain ? J'ai déniché un petit bistrot altermondialiste qui va beaucoup te plaire. Le Starbucks, tu connais ?

Je ne pu m'empêcher de sourire à sa blague. Il reprit, plus sûr de lui :

- Je te jure que je serai adorable, tu ne risques plus rien en ma compagnie. Je n'ai plus de libido, ces pilules m'ont transformé en un moine cistercien. Je suis désormais asexué mais heureux.

- Tu ne m'avais pas l'air asexué tout à l'heure, au bras de ton avion de chasse.

J'étais sur le point d'ajouter qu'un moine cistercien n'avait pas besoin de faire la vidange lorsque j'aperçus Edouard se diriger vers nous, une Piscine dans chaque main. Il ignora Léo et me tendit une coupe.

- C'est fou-fou, je t'ai retrouvé grâce à Happn, me dit-il en guise de bonjour.

J'avais installé cette application sur les conseils d'Olivia. Elle permettait d'entrer en contact avec une personne croisée au hasard. Un compteur affichait même l'heure, le lieu et le nombre de fois que la personne avait été croisée.

- Je ne veux surtout pas prendre ton temps en otage, s'exclama Léo, ignorant complètement Edouard à son tour. J'étais de toute façon sur le point de partir. J'ai une envie de pisser qui me fend le crâne. Où sont les toilettes dans cet établissement ?

Au même moment, Edouard réalisa qui il avait en face de lui.

- Vous êtes Léo! s'exclama-t-il, son regard métamorphosé. Enchanté, Edouard, votre plus grand fan. Je connais tous vos sketchs par cœur. Vous êtes mon idole, mon demi-dieu, ma référence absolue !

Une lueur de ravissement passa dans le regard de Léo.

- Tu entends ça femme ? Soumets-toi.

Ç'en était trop. Après la plantureuse rousse, c'était au tour d'Edouard de faire la parade amoureuse. Comme je m'éloignais, Léo se leva brusquement pour me faire la bise et ce faisant, en profita pour me souffler discrètement à l'oreille :

- Il a l'air con comme un âne...et encore, c'est méchant pour l'âne.

Il attendit ma réaction, son air moqueur habituel peint sur son visage. Énervée, je pointais du menton la rousse qui tentait désespérément de se frayer un chemin vers nous, ses énormes seins gonflés à l'hélium dressés en avant, et rétorquais :

- Fais attention à ne pas t'envoler en vissant les ampoules.

Ce sur quoi il saisit mon bras et chuchota à nouveau dans mon oreille :

- Je te souhaite bien du plaisir. Les Genevois sont les plus mauvais coups de la terre. Ils ont été habitués dès leur plus jeune âge à tout recevoir sans jamais rien donner en retour.

Ignorant sa phrase, je me frayais un chemin dans la foule. 


Jeune EveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant