Damore (en réécriture)

3. Jour de répit

Je parcourais les couloirs de cet immense bahut. Je passai devant de multiples portes d'où j'entendais la voix de chaque professeur. Je poursuivis mon chemin avant de trouver la bonne salle. Je frappai contre le bois usé de cette porte, avec beaucoup de force. De l'extérieur, j'entendis la prof râler. Je me mis à glousser stupidement.

Encore une fois.

- Mlle, dit-elle en ouvrant la porte, pourquoi êtes-vous en retard ?

Mon regard la détailla. Cette femme n'était pas très âgée, 35 ans tout au plus, elle était petite et menue. Je relevai mes yeux vers les siens. L'impatience y trônait. Ne voulant pas me faire remarquer dès mon premier jour, je répondis rapidement :

- Je suis Ashley Evans. Désolée du retard Mme, j'ai dû passer chez la CPE avant de venir.

Elle me fixa quelques secondes avant de s'effacer du chambranle, me laissant entrer. Instantanément, les yeux de tous les élèves se posèrent sur moi. Je fis abstraction des chuchotements et commentaires de la foule.

Je tirai la chaise d'une table, au fond de la salle et m'assis sur le siège en m'affalant de tout mon poids. Je disposai rapidement mes cahiers et ma trousse sur la petite table, devant moi. Je sentais les regards de tous sur moi. Je me concentrai sur l'estrade, où la petite femme nous faisait cours.

Mes pensées dérivèrent vite et quittèrent la voix aiguë de la prof. Je repensais à mes années de collège. Ç'avait été les meilleures années de ma scolarité. J'avais même réussi à me mettre « en couple ». Mon corps frissonna sous l'émotion que me procurait ce souvenir.

« Ashley, 13 ans.

J'étais tranquillement en train de recopier la correction des exercices de maths, qui était au tableau. Je repensais aux sourires et coups d'œil, plus ou moins discrets, que j'échangeais avec ce garçon. Il était le seul qui pouvait effacer la peine de mon visage, l'instant d'une petite blague.

Je me souvenais également des nombreux avertissements de mon père. Lui qui me répétait sans cesse que les hommes étaient mauvais et pervers. Plus j'y pensais, plus je me disais que c'était lui, le mauvais, dans l'histoire. Lui et ses punitions dégueulasses. Lui et sa voix qui me hurlait dessus jours et nuits. Lui.

Lui.

Lui qui me faisait tant peur.

C'est alors qu'une boule de papier rebondit sur mon bureau. Je le dépliai, les mains tremblantes, avant de lire : « Salut Ashley. C'est moi :) J'espère que ça va. Je me demandais si ça te dirait de sortir avec moi, comme un couple en fait ! ». Je souris. Je récupérai le crayon à papier qui roulait sur le rebord de la tablette de bois et écrivis rapidement, sans réfléchir « Bien sûr que oui, je veux bien ». »

Malheureusement, je me rappelais aussi la réaction de mon père, au soir.

« - Comment ça Ashley ? me dit mon papa, d'un air furieux.

- J-Je -suis-d-d-désol-désolée papa, bégayai-je.

- Tu as intérêt. J'avais dit quoi sur LES GARÇONS ?

J'avais peur. Je ne parlais plus, je me contentais de le fixer à travers les mèches de cheveux qui me tombaient devant les yeux. Mon dos était vouté. Ma tête était baissée.

- Réponds SALOPE ! insista-t-il sur le dernier mot.

Ma lèvre inférieure trembla. »

Une voix rauque me fit sortir de mes douloureux souvenirs. Mes yeux étaient remplis de larmes. Le reste de mon corps était paisible, décontracté. Seules ces quelques gouttes qui emplissaient mes yeux trahissaient l'horreur de mes démons.