Une secousse réveilla Yuki. Elle grogna du fond de son sommeil cotonneux pour conjurer cette voix si désagréable qui venaient frapper ses tympans malmenés la veille.
« Yuki, ce n'est plus l'heure de trainer au lit, et que fais tu encore tout habillée? »
Un cortège de sensations inonda sa conscience: migraine, nausée et bouche pâteuse.
Ses paupières collées s'ouvrirent péniblement.
En clignant des yeux, elle reconnut le visage de sa mère, dubitative, attendant dans une angoisse manifeste, une quelconque réaction de sa part.
« Yuki, tu vas être en retard, il faut te lever maintenant ».
Cette phrase eut l'effet d'une détonation lumineuse dans son esprit en décantation.
« Quoi ? » hurla t elle en sortant du lit aussi vite qu'une femme canon envoyée dans les airs.
Sa mère s'écarta et, telle une mouche bourdonnante, poursuivit sa fille de son inquiétude inopportune :
« Que t'arrive-t-il Yuki, habituellement, tu es toujours la première levée pour préparer le petit déjeuner?
- Là, Mama, ce n'est plus le moment! » s'emporta-t-elle en filant droit vers la salle de bain où elle s'enferma avec précipitation.
En panique totale, Yuki ne savait plus par quoi commencer: prendre une douche, se brosser les cheveux ou plutôt se brosser les dents? ou bien encore se brosser les dents avec sa brosse à cheveux. Elle s'arrêta net sur l'heure affichée dans le miroir.
Vingt minutes de retard!
Les larmes au bord des yeux, elle se décida à sacrifier la douche, et tendit le bras vers la brosse à dent. Mais, elle interrompit son geste subitement. A l'encre bleue, sur son avant bras, était inscrit un numéro de téléphone ponctué de trois petits cœurs et d'un smiley.
« Mais qu'est ce que c'est que ça ? s'interrogea-t-elle, effarée, en portant la main à sa bouche. Impossible de me rappeler?"
Bousculée par ce réveil brutal et vide de souvenirs, Yuki acheva le brossage buccal sans grande conviction, démêla son épaisse chevelure noire en tentant de rassembler les fragments de sa mémoire et débarbouilla son visage boursouflé sous l'eau chaude. se sentant hors sol, elle sortit de la salle de bain, le souffle court.
Avant de changer de tenue, elle nota le numéro dans son portable et retourna effacer cet intriguant tatou. Elle s'occuperait d'identifier l'auteur de ce griffonnage plus tard. Pour le moment, son unique obsession était d'arriver à son poste avec le moins de retard possible. Elle avisa sa veste et son sac puis quitta le domicile sans prendre le temps de rassurer sa mère.
Dans le métro, assise sur un minuscule strapontin, elle tenait son sac serrée contre sa poitrine comme un enfant se réconforterait avec son doudou déplumé, relique du stade anal de son développement. Crispée, elle échouait à repousser l'aiguillon de la culpabilité et de l'angoisse.
Qu'allaient penser mama et chichi, son père ? Elle devrait s'escrimer à les rassurer dès que possible. Et pourquoi ne parvenait elle pas à se rappeler la suite de cette soirée déjantée? Le dernier souvenir qu'elle en gardait était la réponse muette du serveur à la question de connaître le gain du vainqueur.
Que s'était il passé ensuite? S'était elle évanouie ? Comment était elle arrivée dans son lit?
Au bord de la crise de nerf, elle parvint à s'extraire du dédale de couloirs souterrains en doublant des piétons agaçants de lenteur, sans doute plus ponctuels et consciencieux que l'indigne salariée corrompue qu'elle s'était abaissée à devenir le temps d'une escapade nocturne.
Elle entra dans le hall prestigieux de Huzomi Bank, tête basse, le pas rapide, et s'engagea dans l'ascenseur en espérant qu'il ne s'arrêterait pas à tous les étages.
Exsangue d'énergie, elle atteignit le 13 eme, sans trop d'arrêt, et put rejoindre le service comptabilité avec le même empressement et seulement cinq minutes de retard.
Alors qu'elle tenta d'entrer dans l'open Space sans se faire remarquer, les cinquante deux employés dardèrent leur cinquante deux paires d'yeux vers elle et suspendirent leur activité tel un seul et même corps.
« Oups, c'est raté pour la discrétion » se fustigea Yuki qui stoppa net sa course et promena un regard circulaire sur l'assemblée de ses collègues qui restaient muets, à la dévisager comme on fixe un pustule sur le front immaculé d'un top modèle.
« Ok.... »
Quelqu'un parmi eux, frappa des mains, immédiatement rejoint par les autres. Non, Yuki ne rêvait pas, son arrivée était plus que remarquée, elle était ovationnée.
Un collègue qui revenait sans doute de la photocopieuse, les bras chargés de pile de papiers, s'arrêta près d'elle, arrondissant la bouche devant l'énormité du spectacle.
Yuki à la bourre, on aura tout vu! Mais, ce qui frappa notre retardataire, c'était que l'attention de son collaborateur semblait absorbée par ses hanches étroites. Interloquée, elle suivit la trajectoire de son regard et constata avec horreur qu'un string à paillette pendait lamentablement de la poche de sa veste.
« Oh non! Mais c'est pas au serveur d'hier soir ce truc??? » se questionna- t-elle silencieusement, sous le choc de cette vision.
Le visage écarlate, elle enfouit aussi vite que possible l'infâme objet au fond de sa poche en tentant d'afficher le naturel d'une femme enrhumée rangeant distraitement son mouchoir. Puis, elle courut ventre à terre se réfugier dans son box, espace minuscule et surchargé qui ne lui avait jamais paru aussi accueillant avec ses grandes parois feutrées.
Comme chaque matin, la consultation de ses courriers électroniques inaugurait la journée. Mais cette fois, un pocke discret accompagna l'ouverture de l'application, indiquant que la messagerie instantanée attendait d'être ouverte. Yuki actionna la souris pour prendre connaissance du mot virtuel.
Hana a écrit -
Cc, alors bien rentrée hier soir? Tu devais m'appeler à ton arrivée, t'as oublié?
Ainsi donc s'élucidait le mystère cutané du numéro de téléphone inconnu. Elle se redressa sur son siège à roulette, elle allait enfin être libérée de son ignorance d'amnésique à la gueule de bois...
Yuki a écrit -
Désolée mais je ne sais même plus comment je suis rentrée. T'as peut être une vague idée ?
Hana a écrit -
Quoi??? Me dis pas que tu te rappelles de rien? 🤣 t'en tenais une sacrée couche...
Yuki a écrit -
Là tu me fais peur, qu'est ce que tu veux dire par sacrée couche au juste??
Hana a écrit -
Rejoins moi au déjeuner dans le réfectoire. On se retrouve à la table près de la grande plante verte, juste à côté de la baie vitrée, on discutera de tout ça 😉
Yuki a écrit -
😑 ok
Hana a quitté la conversation.
« Hum hum. S'il vous plaît.»
Les battements de son cœur déraillèrent un bref instant quand Yuki reconnut la voix sèche de Misaki, le cerbère du patron. Elle se tenait derrière elle, et de surcroît, la vue plongeante sur son écran. Yuki pivota, pétrifiée, et se leva pour adresser un salut très incliné à la détestable Madame Misaki.
« L'honorable boss vous attend dans son bureau ... toute affaire cessante. »
Comprenant l'allusion à sa discussion instantanée et virtuelle, Yuki fit sa prière. Comment allait se finir cette maudite journée?
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Pour l'avenir de la nation
General FictionEntre plaisir et soumission, dans un monde où l'individu doit s'oublier dans l'intérêt collectif, l'alcool peut être mis à contribution de l'effort national pour garantir la prospérité de l'Etat et de son économie. La démographie du pays est en chu...