Le samedi soir était venu et, avec lui, l'impatience croissante des pistes de danse, du tintement des verres et de l'euphorie partagée dans des lieux à la fois confidentiels et cacophoniques.
Accordant un jour de repos par semaine à ses employés, Hizomi Bank avait convenu de limiter les excès de la communauté des amateurs d'alcool exotiques en réduisant les réunions nocturnes dans l'enceinte du Hangar à deux nuits par semaine. En dehors de ces soirées conviviales et festives accordées à son dévoué personnel, toutes consommations et festivités arrosées étaient totalement proscrites.
Hana le savait; tout était gardé sous contrôle, des coupons délivrés au contrôle de leur utilisation, jusqu'aux liens qui se nouaient entre collaborateurs fêtards sous la vigilance discrète mais réel des cadres de l'entreprise. Elle le savait , comme elle savait que l'affection ambigüe qu'elle éprouvait pour l'exemplaire Yuki était réprouvée par l'Etat qui attendait de ses administrés une soumission totale de leurs désirs et pulsions aux intérêts nationaux.
Souhaitant tromper un vague sentiment d'attente, elle papillonnait de table en table au hangar 88 où les premiers amateurs commençaient à épancher la soif du samedi soir. Depuis le déjeuner au cours duquel elle avait pu affranchir sa nouvelle connaissance des débordements de sa première soirée au sein de la communauté, elle avait uniquement échangé par messagerie instantanée ou par sms avec la studieuse Yuki. Sa curiosité au sujet de l'usage qu'elle avait pu réserver à la carte de visite qu'elle lui avait remise n'avait pas pu être rassasiée, Yuki s'étant subtilement et systématiquement dérobée aux questions d'Hana.
Il était 23h...Que comptait faire Yuki, allait elle venir? Était elle traumatisée par le contenu des vidéos qu'Hana lui avait dévoilée? Des intentions de Yuki, rien n'avait transparu dans leurs cordiales conversations. Hana était sur le point de céder à l'envie d'envoyer un texto à sa jeune amie puis se ravisa. Elle décida d'aller traîner ses guêtres du côté du videur qui vérifiait les coupons à l'entrée du hangar.
Elle n'eut pas à prolonger son attente. A peine adressa - t-elle quelques mots au videur au cou de taureau, au sujet de la météo, qu'une limousine noire s'arrêta à leur hauteur. La portière arrière s'ouvrit et, des profondeurs du véhicule de luxe, jaillit une paire de jambes fines et bottées jusqu'à la cuisse. La peau était recouverte de résille noir dont l'oeil ne pouvait apercevoir la frontière, recouverte par un short très court. Yuki bondit du véhicule, les bras grands ouverts, le rire haut, appréciant l'effet de son apparition sur le visage ahuri d'Hana, du videur et des clients qui attendaient sagement que leur coupon soit vérifié.
Elle s'avança, rayonnante, prête à serrer Hana contre sa poitrine. Son buste était divinement recouvert dune mousseline transparente dont l'unique but était de ne pas dissimuler un soutien gorge dont la courbe colorée constituait un appel à la luxure adressé à qui viendrait y perdre ses yeux et ses mains. Hana, sous le choc de la transformation, se laissa attraper et étreindre comme on embrasse une vieille cousine perdue de vue, retrouvée au détour d'une rue quand on se croyait l'ultime survivant d'une famille décimée. Puis, reprenant ses esprits, elle enfouit ses mains dans la chevelure écourtée et décolorée de Yuki, savamment mise en pli, laissa ses doigts courir le long des joues fardées, caresser le contour des lèvres brillantes d'un gloss appétissant et recula pour mieux contempler le travail de la Gay-Sha.
« Yuki, tu es méconnaissable, c'est un truc de fou! s'enthousiasmait-elle,
- Yuki? Ne m'appelle pas Yuki, ma chérie, désormais je suis Gin, Yuki Gin."
Hana éclata d'un rire joyeux, le premier d'une longue série de moments savoureux qu'elles allaient partager cette nuit là et au cours des prochaines semaines.
Le coupon de niveau 2 de Yuki fut rapidement consommé. Les portes d'expériences alcoolisées toujours plus originales lui étaient ouvertes. Palpitante sous les vibrations musicales, elle se jeta à corps perdu dans l'embrasement de la piste de danse. Elle s'abandonnait, décomplexée, aux transes tectoniques et sophistiquées diffusées par le DJ.
La Gay-Sha n'avait rien négligé, de sa manucure aux techniques d'expression corporelle, elle avait même du souffrir sous les sparadraps de cire d'une esthéticienne, un poil sadique et, par la suite, sous les aiguilles d'un tatoueur de pin up qui avait encré une épineuse rose rouge dans le creux de ses reins. Pourtant, ces moments de doute et de torture n'avaient pas été vains. Dans le regard intrigué des amateurs, et dans ses corps qui la frôlaient pour inviter le sien dans l'entremêlement de la danse, elle récoltait à présent les fruits d'une toute nouvelle popularité.
Au bar, un amateur d'alcools exotiques peu orthodoxe attira son attention, il la fixait avec intensité, laissant penser que le besoin de lui parler était vraiment pressant. Elle l'avait déjà aperçu lors de sa première incursion dans ce nouvel univers. Son allure avait de quoi détoner parmi la majorité des danseurs stylés type Kwai ou gothique, sortis de manga pour adolescents en mal de distinction. Lui, arborait une crête hérissée d'une bonne dizaine de centimètres, une chaîne argentée reliait l'aile de son nez à un lobe surchargé de piercings. Manifestement, son truc, c'était plutôt le néo punk. Un brin effrayant...
Se détournant en feignant l'indifférence, elle ondoyait avec plaisir et dissimulait ses désirs d'ivresse derrière ses faux cils, se soustrayant avec délectation aux assauts de danseurs audacieux.
Toujours, dans les fluctuations des mouvements, au milieu des attractions, c'était vers Hana que Yuki Gin revenait. Hana et ses yeux de chat, Hana et son nez délicatement retroussé, Hana et ses lèvres... ses lèvres, soudain, si proches, si douces, interdites qui finissaient par s'éloigner. Rejetant aussi loin qu'elle le pouvait ses tentations immorales, Yuki but encore et encore pour anesthésier, espérait elle, ce monstre avide de sensualité, terrible et fort, qui s'éveillait en elle. Elle ignorait encore qu'une lutte acharnée débutait en son for intérieur et souhaitant étouffer le frémissement de la créature qui émergeait trop brutalement en elle, elle se dirigea une nouvelle fois vers le serveur au string pailleté flambant neuf qui officiait à la buvette.
Le punk qui l'observait saisit l'occasion pour l'aborder:
"C'est bien toi, la fille du week-end dernier qui a troqué sa sinistre jupe longue et sa queue de cheval de lycéenne contre un look d'aguicheuse, la même que j'ai vu complètement torchée après deux cocktails?
- Affirmatif. Et toi tu ressemblais à quoi avant de devenir fan des sex pistols?
- Un petit conseil ma jolie, quand t'auras atterri - et crois moi, ça te fera mal - appelle moi, je te consolerai."
Il glissa dans la mini poche de son mini short un morceau de papier, et méprisant, prit la direction de la sortie.
"Non mais pour qui il se prend ce créteux du dimanche?"pesta Yuki Gin. Piquée au vif et intriguée, elle s'empressait déjà de défroisser le mot sur lequel elle pu lire:
"Je te laisse pas un mois avant de m'appeler" .
Cette déclaration était suivie d'un numéro de téléphone qu'elle décida finalement de conserver, en dépit de la goujaterie de l'inconnu.
Après tout, elle était Yuki Gin, à la recherche du temps perdu.
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Pour l'avenir de la nation
General FictionEntre plaisir et soumission, dans un monde où l'individu doit s'oublier dans l'intérêt collectif, l'alcool peut être mis à contribution de l'effort national pour garantir la prospérité de l'Etat et de son économie. La démographie du pays est en chu...