Où Haruki tente un geste naïf et désespéré

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Devenue une ombre glissant sur la clarté lunaire des murs, Haruki était à l'affût des craquements de la vieille demeure.

Était-ce le grincement du bois sous le poids d'un intrus ou bien le soupir sec du temps qui passe entre les lattes du parquet vieillissant ?

Vigilante, elle suspendit sa progression. Le Logis semblait endormi.

Elle reprit son avancée vers le service de l'intelligence en tentant de détourner les angles des caméras qui hérissaient le plafond des couloirs. Prenant soin de vérifier sa gauche et sa droite, elle ralentit sa marche furtive en atteignant enfin le corridor qui menait au cerveau du Cercle. Deux objectifs étaient braqués sur l'entrée du sanctuaire qui abritait le serveur. Elle n'avait pas besoin de prendre trop de temps pour entrer et commettre son acte de sabotage. Peu importait ce qu'il adviendrait par la suite.

Elle ferma les yeux. Une profonde inspiration vint gonfler sa poitrine, irriguer ses membres du sang énergique de l'audace. Étrangement, les battements de son cœur se modulèrent. Elle ouvrit de nouveau ses paupières sur le couloir faiblement éclairé par les veilleuses indiquant les issues vers d'autres parties communes. Elle engagea un premier pas puis un second, elle enchaîna rapidement avec un troisième puis trottina avec légèreté, jusqu'à une porte blindée percée d'un hublot. Un regard au travers de l'œil lui confirma que la voie était libre. Après avoir vérifié une dernière fois par dessus son épaule qu'aucun vaillant soldat ne viendrait entraver son projet, elle introduisit le badge magnétique dans la fente qui faisait office de serrure.

Rien se produisit. Impossible.

Elle tenta de nouveau, en retournant le badge.

Rien à faire. L'accès demeurait interdit.

Un élan de panique commença à poindre. Les caméras conjuguées à l'usage d' un badge activé à mauvais escient, les événements tournaient au vinaigre. Elle consulta l'heure inscrite sur le cadran de sa montre. 00h41. Si elle en restait là, il y avait fort à parier qu'elle ne serait plus la bienvenue au petit matin. Elle avait bien conscience qu'elle serait rejeté au ban de l'organisation après un tel passage a l'acte. Autant aller jusqu'au bout quoi qu'il en résulte. Échouer n'était pas une option. Il n'y avait plus d'alternative. Elle devait choisir le pire des plans pour empêcher l'innommable de se produire.

Elle était sur le point de rejoindre les appartements d'Hitsu , situés deux étages plus bas, mue par la vague intention totalement irrationnelle de le contraindre à changer le cap, d'une manière ou d'une autre, quand elle entendit résonner dans les escaliers des pas précipités qui se rapprochaient trop rapidement.

Demi tour.

Elle gravit les marches quatre à quatre à la recherche d'un recoin où se dérober.

Tête basse, souffle court, elle se hissait à la force de sa main agrippant nerveusement la rampe quand elle heurta quelqu'un qui descendait en sens inverse. Normann... il s'était arrêté sur la dernière marche, rattrapant Yuki in extremis alors qu'elle rebondissait sur son torse. Du haut de son mètre 92, il lui jeta un regard interrogateur. Elle se dégagea d'un geste brusque et, affolée, tenta de le contourner au moment où deux sapeurs, matraque en main, surgissaient derrière elle. Il n'en fallut pas plus à Normann pour comprendre la forfaiture de la jeune recrue, et de sa corpulence imposante, lui barrer immédiatement la route.

"Où tu comptes aller comme ça, Yuki?

- Laisse moi passer, je dois voir Hitsu tout de suite."

Tentant de l'attraper à son tour, un sapeur intervint:

"Tu as tenté de t'introduire dans le service de l'intelligence, sans aucune autorisation. Tu vas devoir nous suivre et t'expliquer.

- Ne m'approchez pas, menaça t elle en dégainant le couteau papillon. Sa main tremblante brandissait l'arme, chassant l'air devant elle pour délimiter un arc de protection. Jamais je ne participerai à votre projet, pas plus que je ne vous laisserai commettre des crimes contre des innocents sans rien dire ni faire pour vous en empêcher.

- Des innocents? Yuki, je te conseille d'obtempérer."

Il ponctua sa phrase en assénant un coup de poing sur son avant bras. Un sapeur en profita pour la frapper à l'aide de sa matraque jetant un voile noir sur la conscience d'Haruki, assommant brutalement la jeune rebelle.

Quand elle reprit connaissance, grimaçant de douleur, elle était enfermée dans une sorte de cellule au sol en terre battue. A la vision des murs, elle comprit qu'elle avait été emprisonnée dans les souterrains. De rage, elle se jeta sur la porte de sa geôle, crachant des mots révoltés au travers du hublot, priant pour que quelqu'un entende raison et vienne à son secours. De l'autre côté de la porte, des anars allaient et venaient en tenue de combat, indifférents à ses gesticulations et sourds à ses invectives. Ils semblaient tous affairés au transport de barils qui, visiblement, contenaient des armes ou des matières explosives.

Comment allait elle sortir de là ? Qu'allait elle devenir maintenant qu'elle avait révélé son opposition?

« Ma sœur Haruki ».

Elle sursauta cherchant autour d'elle la provenance de la voix grésillante qui l'interpellait. Levant les yeux vers le plafond, elle s'aperçût qu'elle était surveillée par une caméra à proximité de laquelle une enceinte laissa échapper les mots prononcés sentencieusement par le berger.

"Sache que Sid est auprès de moi. Il est tout autant déçu que moi et ne sais plus comment racheter l'erreur qu'il a commise en t'introduisant parmi nous. Oui, tu nous déçois tous beaucoup, jamais je n'aurai cru que tu mordrais la main de ceux qui t'ont accueilli avec tant d'amour et de patience. Inutile de t'agiter, Haruki, tu resteras enfermée jusqu'à la fin de l'intervention des sapeurs. Ensuite, nous remettrons ton sort entre les mains de la communauté."

Un cliquetis mit un point final au monologue d'Hitsu.

Une angoisse profonde serrèrent les boyaux de son ventre. Yuki avait de plus en plus de mal à respirer, étranglée par la certitude d'un danger imminent. Se sentant au plus mal, elle eut néanmoins une idée totalement stupide et désespérée mais, au moins, il lui restait le mérite d'agir jusqu'à la fin.

"Voyons voir combien de temps tiendront ces câbles électriques".

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