Quand Yuki comprit que le berger venait de lui accorder le droit d'asile, ce fut le lever d'un soleil d'été sur son cœur fissuré et meurtri. Après le froid et la pluie, la honte et le rejet, son esprit agité trouvait, de manière inespérée, un havre où jeter l'ancre, un port qui lui offrait une place attitrée où elle pourrait refermer ses blessures avant d'envisager une nouvelle destination.
"Suis moi, je vais te conduire à ta chambre et te montrer un aperçu du Logis."
En guide adoubé par Hitsu, Sid la fit voyager dans les étages du château. Ils regagnèrent directement l'aile sud par laquelle Yuki était entrée deux heures plus tôt, défaite et sans famille.
Au rez-de-chaussée, elle découvrit d'immenses salles communes aux fonctions variées, occupées par des utilisateurs qui ne semblaient absolument pas étonner par l'intrusion d'une étrangère dans leurs occupations : réfectoire, bibliothèque, salle de billard, atelier de peinture et même un espace réservé à là projections de films, aux jeux vidéos et au métavers... Yuki fut impressionnée par le confort des lieux. Ce qui la surprit davantage fut surtout l'aspect décati résidents dont la plupart devaient avoir atteint l'âge de sucrer les fraises.
Suivant les pas de Sid en gardant pour elle le fond de ses pensées, elle monta des escaliers boisés et en descendit d'autres.
Aux détours de couloirs ornés de tableaux de paysages et de vieilles figures d'ancêtres , ils déambulaient de niveau en niveau puis de chambre en chambre. Elle observa que des caméras habillaient les angles des plafonds moulés et que les portes étaient équipées de serrures électroniques, contrastant avec les murs antiques et les meubles poussiéreux qui peuplaient les grands espaces du château.
A l'avant dernier étage qu'elle explorait, les chambres qu'elle visita étaient toutes occupées par des personnes très âgées et souvent abîmées.
Dans l'une d'entre elles, une femme alitée jetait un œil absent par la fenêtre, sur des paysages dont la beauté était connu d'elle seule. Dans la pièce voisine, une vieille dame bavait dans un fauteuil roulant aux roues grippées que poussait une jeune fille dévouée.
"Ici, nous sommes à l'étage du crépuscule." commenta Sid.
Quittant la chambre, Yuki suivit du regard la vieille dame en chaise roulante et son infirmière se diriger tranquillement vers un ascenseur aménagé près de la cage d'escalier. La scène convainquit Yuki que le château faisait tout bonnement office de maison de retraite.
Tout au long de la visite, elle demeura silencieuse pour mieux entendre Sid égrener les prénoms des pensionnaires et pour s'interroger intimement au sujet de la place qu'elle pourrait bien occuper, surveillée de près, au milieu de cette population quasi grabataire.
Au dernier étage, ils atteignirent les combles du bâtiment, l'escalier exigu déboucha sur un couloir plus sombre et étroit. Celui ci desservait d'anciennes chambres qui, par le passé, avaient sans doute été réservées à des domestiques. Yuki profita de la confidentialité des lieux pour chuchoter une question.
"Le logis? C'est drôle comme nom, d'où ça vient?
- C'est une bonne question, je l'ai toujours entendu. De ce que m'a dit le Berger, cette vieille bâtisse appartenait à un riche citoyen devenu moine taoïste qui en aurait fait don pour l'épanouissement du Cercle, il y a quelques années. On a appelé ce château le logis, parce que qu'il est devenu un abri sûr et confortable pour tous les héros de notre cause.
- Moi ça me fait penser au nom que l'on donnait aux hébergements des soldats en Europe. Alors quand tu parles de cause, tu veux parler de quoi au juste ? Ici je ne vois que des vieux qui semblent attendre patiemment la fin, en vivant plus ou moins dignement...
- Ne te méprends pas, toutes ces personnes que tu as pu croiser sont des membres du Cercle, qui viennent vivre une retraite méritée au logis. Ici, les jeunes générations prendront soin d'elles tout en apprenant de leur expérience.
- Tu veux dire qu'elles n'ont plus d'attache, plus de famille pour s'occuper d'elles?
- Je veux dire que ceux que tu as rencontrés ont tous été, à un moment ou à un autre, rejeté par leur famille. Tout comme toi, ils ont été reniés non seulement par une famille mais aussi par une société qui a fait de la faiblesse et de ce qui nous rend l'humain une tare, un handicap honteux, entravant le progrès de la nation. Ils ont tous connu ce que tu viens de vivre, Moé. Ce type d'endroit existe car nous avons grandi dans le cœur d'une nation qui a oublié nos racines et l'essence même de la vie. Ici, nous cherchons à restaurer ce qui a été perdu, l'amour des nôtres et la mémoire de notre grandeur.
- Qu'est ce que tu veux dire? Que vous reconstituez une grande famille pour les déshérités ?
- En effet, on peut le voir comme ça... mais ce n'est pas tout. Tu ne connais pas tout du secret. Maintenant que tu as été baptisé, tu t'approches de la révélation mais tu dois encore parcourir un peu de chemin...
- Tu ne veux rien me dire? C'est quoi ce secret? Vous avez sans doute des choses à cacher, ce qui explique tout ce système de sécurité". Agacée par ces cachoteries, Yuki désigna d'un doigt accusateur l'une des caméras qui espionnait les allées et venues des personnes qui traversaient le couloir."
Il la fixa d'un air entendu sans réagir au commentaire acerbe de la novice.
"Ah c'est vrai! J'avais oublié, je dois offrir quelque chose d'important pour preuve de ma bonne foi?
- Affirmatif, chacun ici a fait un sacrifice pour le bien de l'autre dans le but de prouver la qualité de son dévouement. Ce n'est pas à moi que tu le devras mais à un aîné qui devra te transmettre sa flamme pour le combat. Ensuite et seulement, si tu as suffisamment appris, tu auras accès à la vérité et tu comprendras les ambitions du cercle...Voici ta chambre Moé. Celle de ton accueil au logis."
La pièce obscure dans laquelle Sid l'invita à entrer était extrêmement spartiate, meublée d'un lit simple et d'un lavabo émaillé. Une petite fenêtre offrait une vue sur l'arrière du logis, un magnifique jardin à l'anglaise s'étendait au pied du château. Pendant quelques secondes, elle se perdit dans l'admiration de la végétation enchevêtré puis se tourna vers Sid.
"On croirait la cellule du nonne enfermée dans un cloître..." ironisa-t-elle.
Ignorant superbement la comparaison capricieuse et passablement ingrate de Yuki, Sid poursuivit:
"Tu dois manger quelque chose. Je vais aller voir dans les cuisines ce que je peux te trouver. Ensuite, interdit de te balader dans le logis sans escorte. Tu devras rester ici jusqu'à ce que je vienne te chercher."
Il s'approcha d'elle et, dans un geste ferme réclamant toute son attention, il releva le menton de Yuki, plantant ses yeux noirs dans les siens.
"Je ne plaisante pas Moe, je compte sur toi pour suivre le règlement." Ponctuant ses mots d'un silence appuyé, il s'écarta, quitta la chambre en prenant soin de refermer la porte derrière lui.
Un cliquetis métallique indiqua à Yuki que la porte venait d'être verrouillée.
VOUS LISEZ
Pour l'avenir de la nation
General FictionEntre plaisir et soumission, dans un monde où l'individu doit s'oublier dans l'intérêt collectif, l'alcool peut être mis à contribution de l'effort national pour garantir la prospérité de l'Etat et de son économie. La démographie du pays est en chu...