Chapitre 19 - Mémoires perdues

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La neige sur sa peau blanche et le vent qui faisait frissonner l'or dans ses cheveux. C'est ainsi qu'il l'avait vue pour la première fois et qu'elle s'était figée pour toujours dans son esprit d'enfant malade.

Indissociable de la neige et du soleil d'hiver.

Il se souvenait de son regard aussi. De ses yeux clairs qui brillaient comme un ciel d'été, et qui semblaient aussi porter le poids du monde en eux. En cette après-midi glaciale, elle portait une robe légère, presque transparente et, en plus du choc laissé par sa présence, cette entaille profonde qu'elle avait tranchée au scalpel dans la nuit de son existence, il se souvint s'être demandé comment elle faisait pour ne pas avoir froid.

Enfant, il n'avait connu que les ténèbres. Elle était arrivée dans son monde de noir et de gris comme un rayon de soleil. Apparition trop brutale, presque douloureuse pour son regard affaibli, toujours plongé dans la pénombre. Il avait donc fermé les yeux pour ne les rouvrir ensuite qu'à demi sur ses pieds de porcelaine, nus sur les pavés.

Elle. Ce elle là. La fille en robe blanche et aux longs cheveux qui le poursuivait depuis tout là-bas, et qu'il avait confondue avec la faucheuse sans savoir qu'elle appartenait à sa propre histoire. À ce fragment volé de sa mémoire et dont il ne restait que quelques résidus éparses dans son esprit en miettes.

Qui es-tu ?

C'est ce qu'il ne cessait de se demander.

Qu'as-tu été pour moi ? Quand l'avait-il vue pour la première fois, dans cette rue enneigé aux pavés tachés de soleil ? Pourquoi t'ai-je oubliée ?

Son visage... jusqu'à son nom... Mais il se rappelait de la texture de ses mains chaudes sur ses joues glacées, du frémissement de sa voix et du tintement de son rire.

Dehors, quelque part, et comme ce jour-là, le ciel était saturé de givre, et de tout petits flocons crépitaient dans l'atmosphère azurée, teintée de rose et de violet. Était-ce le souvenir de ses lèvres et de ses yeux qui rendait le monde tout à coup si lumineux ? Presque trop pour lui...

Dans ce train qui ne menait nulle part et dont les wagons crissaient comme des lames de couteaux sur les voies, Dazai tenta de se souvenir. Encore une fois. De ce passé qu'on lui avait volé. De la fille aux cheveux de blés.

« Souviens-toi... » souffla-t-il tandis que la douleur lui vrillait les entrailles.

Souviens-toi...

***

« Papa, tu crois qu'il est mort ? »

Petite voix. Douce et fragile comme une cloche de cristal.

S'il l'était il ne serait pas là. Il ne respirerait déjà plus.

Masculine. Plus grave, plus mûre. Rassurante dans sa chaleur.

Alors il va mourir ?

Pourquoi mourrait-il ?

Parce qu'il ne veut plus vivre.

Comment le sais-tu ?

Je l'ai lu dans ses yeux.

Ah ? Qu'avait-elle pu voir de si profond, de si caché, qu'il ne l'avait jamais dit à personne, pas même à lui ?

...

Jours de cendres. La chaleur étouffante sur son front. Moiteur des linges sur son visage, frais l'espace d'un instant, terriblement tièdes celui d'après, au contact de sa peau trempée de sueur. La douleur dans ses bras et dans ses jambes, cette sensation de chair rongée jusqu'à l'os. L'impression de suffoquer à chaque instant et de brûler de l'intérieur.

Bungou Stray Dogs - La Déchéance d'un hommeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant