Chapitre 30 - La baignoire

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Sans ses bandages, il était comme un corps privé de ses vêtements, nu, presque violé. Le premier réflexe d'Atsushi fut de couvrir les deux bras que Yosano avait dépouillés de leur seconde peau, cacher la profanation. Il en aurait hurlé de colère, si un détail ne l'avait pas frappé. La peau. Elle était aussi blanche que les draps et que les morceaux de tissus laissés sur le matelas en misérables tas de chiffons. Ce fut Chuuya qui souleva le drap à sa place, aussi pâle que les murs. Ses lèvres tremblaient.

– Je ne comprends pas », dit-il doucement. « Ses poignets... »

Du bout des doigts, il frotta le derme de son ancien coéquipier comme s'il cherchait à découvrir une pellicule capable de cacher la véritable nature de cette chair sans trace, sans défaut. « Je les ai pourtant vues », répéta le mafieux. « Les marques, les cicatrices. C'est moi qui ai épongé le sang, qui ai suturé les plaies qu'il se faisait au scalpel... ça ne peut pas disparaître comme ça. »

– Non », soutint la voix de Kunikida, demeuré au bout du lit comme si une sorte de pudeur l'empêchait de s'approcher. « Ça ne disparaît pas comme ça. »

Atsushi acquiesça. Les propres marques sur son torse en attestait. Une fois la chair pénétrée, on en gardait la trace pour toujours, même si le temps permettait d'en estomper les contours et d'en atténuer la douleur. Et connaissant Dazai, sa promptitude à se faire du mal, son passé, il était impossible que son corps soit intact.

– C'est ça qu'elle a voulu nous dire... Yosano-san ? » balbutia-t-il. « C'est ça que Mori-san était censé savoir ? »

Les sourcils froncés, les mains tremblantes, Chuuya rabattit le drap sur le corps inerte. Il semblait en colère.

« Il y a quelque chose que je ne comprends pas », souffla Kunikida, les yeux dans le vague. « La première fois que je l'ai vu en crise, le soir où il s'est fait du mal, il y avait des dizaines de cicatrices sur ses bras, plus ou moins récentes, dont certaines bien passées... Yosano les a vues aussi. S'il avait la capacité de se régénérer, pourquoi ces marques étaient-elles présentes à ce moment-là ? »

« Mori pense qu'il ne maitrise pas complètement son pouvoir », intervint une voix féminine depuis le pas de la porte.

Les bras croisés, Yosano les observait avec son regard acéré dont l'éclat mauve perçait l'obscurité comme deux faisceaux. « Quand il avait encore l'occasion de soigner Dazai, il a constaté que certaines marques allaient et s'en venaient sans logique propre », poursuivit-elle. « Il pense que même avec cette capacité de régénération qui lui permet de guérir à une vitesse anormale et de survivre à des blessures très graves, certaines ont tendance à ressurgir... »

– Comme des souvenirs ? » émit Atsushi sans être tout à fait certain de se comprendre lui-même.

– Comme des souvenirs, oui », acquiesça Yosano. « La preuve étant que ses cicatrices réapparaissent quand il se mutile. Kunikida l'a dit, et c'est vrai que nous l'avons constaté. »

– Je l'ai vu aussi », confirma Chuuya. « Mais j'étais persuadé qu'elles avaient toujours été là... »

– Vous n'avez jamais remarqué que Dazai faisait parfois semblant d'avoir un bras ou une jambe cassés dans les moments critiques ? » renchérit la médecin.

À l'unisson des deux autres, Atsushi confirma, se remémorant le plâtre que l'ancien mafieux avait porté lors de leur affrontement contre la Guilde. Il était persuadé que sa blessure était la conséquence d'un accident de voiture. C'est en tout cas ce que Dazai leur avait prétendu, mais maintenant que Yosano l'évoquait, il se souvenait bien que l'ancien mafieux ne l'avait plus porté du jour au lendemain. Et cette blessure par balle qui l'avait traversé de part en part et pratiquement vidé de son sang pour qu'il s'en remettre deux jours plus tard... Personne ne le remarquait plus, parce que c'était Dazai et qu'il s'en sortait toujours, mais sa capacité de récupération était en effet prodigieuse. Il y avait même des chances pour que sa fracture au bras ait été réelle suite au carambolage de la voiture où il se trouvait avec Ango. En attestait l'état du fonctionnaire, qui lui, n'était pas feint. Si on suivait cette logique, quelques heures avait dû suffire à son bras pour se rétablir et Dazai avait conservé son plâtre, non seulement pour ne pas révéler son pouvoir, mais aussi pour paraître plus vulnérable qu'il ne l'était vraiment aux yeux de l'ennemi.

Bungou Stray Dogs - La Déchéance d'un hommeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant