Chapitre 21 - L'histoire du garçon sans nom

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Il est là, mais il ne sait pas où.

Cela fait tellement longtemps qu'il s'est cherché qu'il ne sait même plus où se trouver. Tout ce que l'homme voit devant lui, c'est une grande étendue grise qui se confond avec le blanc du ciel, là où la ligne d'horizon devient presque palpable.

Et le vent. Le vent seulement dans ses cheveux.

Pourquoi est-il venu là, au milieu de rien, dans cette étendue où il est si difficile de marcher, parmi les nuages et les embruns marins. Pourquoi cette plage en particulier ?

Que s'est-il passé ici ?

Dazai a mal. Chacune de ses respirations le tue et lui transperce les entrailles, mais cela fait si longtemps qu'il a mal. Quelle différence avec avant, quand la douleur se logeait sous sa peau, à l'intérieur même de son derme et de ses organes ? Quelle différence ?...

Il est là, il regarde sans vraiment voir les grands remous qui agitent l'atmosphère, le mouvement perpétuel et le vide à la fois blanc et gris, tacheté de bleu aussi. Spectateur de sa propre déchéance. Et il a cette impression étrange, quelque part en lui, ailleurs que dans sa tête, qu'il est arrivé tout au bout. Au bout de lui-même, et au commencement, comme si là-bas, entre les chapes de brume qui se profilent à l'horizon, surgira un autre lui-même, très blanc, tout neuf, vierge de son passé, de ce présent qu'il vit en trompe-l'oeil, et de ce non-avenir. Vierge de tout. Alors il lui tendrait les bras, et l'emporterait avec lui, lui l'infâme, le rejeton abject de tous les vices qui l'avaient traversé un à un avec leurs aiguilles empoisonnées, et qui avaient à chaque fois laissé une trace de plus sur ce corps qu'il n'avait jamais possédé. Ce corps-là, celui qui surgirait des brumes, n'en aurait aucune. Il serait aussi immaculé que les premières neiges de l'hiver, et quand, à bout de forces, il se laisserait tomber dans ses bras, il pourrait enfin sourire et se laisser dissoudre avec douceur par l'écume sur les vagues. C'était tout ce qu'il désirait. Se fondre à jamais dans le silence du monde, du ciel et de la mer pour disparaître à tout jamais. N'avoir jamais existé.

Alors, les yeux fermés, le visage recouvert de sable et fouetté par ses cheveux agités par le vent, il s'assit là et attendit. Le lui mort et renaissant. Et pourtant, chaque fois que la lumière faisait jour dans ses ténèbres intérieures, chaque fois qu'il fermait véritablement les yeux pour arrêter de penser et cesser de se souvenir, ce n'est pas un môme aux cheveux noirs qui venait à lui, mais une petite fille aux longs cheveux blonds.

***

« Dazai... » il n'arrivait même plus à prononcer son nom tant sa gorge était serrée. Comme si ces deux syllabes portaient en elle le poids du secret qu'il venait d'entendre, et que l'homme aux lunettes rondes venait de révéler. S'il n'était pas déjà assis, Atsushi se serait probablement effondré. À côté de lui, Nakahara Chuuya n'en menait pas large non plus, les mains si serrées sur les accoudoirs de son fauteuil qu'elles en avaient fait craquer le bois. Le regard fixe, absent. Tout son être ébranlé par ce qu'il venait d'entendre.

– Dazai est le... fils de l'ancien boss », parvint-il néanmoins à répéter à sa place. « Cela signifie que... que... »

– Qu'il est le boss légitime de la Mafia portuaire », compléta Ango avec un calme qui le sidérait.

– Mais... Mori... » bredouilla Chuuya d'une voix anormalement tremblante.

Toute la superbe qui régissait d'ordinaire ses paroles, ses actes et jusqu'à ses expressions s'était brutalement évaporée pour le laisser aussi démuni qu'un enfant dans son siège tout à coup trop grand. Un enfant qu'on aurait trahi.

– Il le savait depuis le début », rétorqua Ango en croisant les mains sous son menton. « Nous n'avons pas eu tous les détails, mais leur rencontre semble bien tenir du hasard, ou d'un coup de chance, selon le point de vue... »

Bungou Stray Dogs - La Déchéance d'un hommeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant