Chapitre 28 - Le plongeon

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Même dans l'obscurité, il riait. Kyûsaku riait toujours. Il avait ce rire persistant et grinçant de ceux qui ont perdu pied et qui n'ont d'autre recours que celui de l'hilarité pour expier la maladie profonde qui s'était incrustée en eux jusqu'aux os. Plus d'une fois, Chuuya s'était dit qu'il serait sans doute plus juste de le tuer. Laisser cet enfant en vie était une aberration. Ce n'était pas un enfant d'ailleurs, mais un monstre. Et il n'y avait qu'à la mafia portuaire qu'on élevait les monstres et qu'on nourrissait grassement leur folie. Lui-même en avait payé les frais.

« Kyûsaku », souffla-t-il dans l'obscurité de la cellule où Dazai avait un jour pris la décision de consigner le garçon, et dont il n'était sorti qu'un an plus tôt, lors de leur affrontement contre la Guilde pour y entrer plus aliéné encore. « On a du boulot pour toi. »

Recroquevillé dans l'ombre, le regard rivé dans les yeux vides de ces curieuses poupées de chiffon qu'il fabriquait avec des chutes de tulles et de coton, réceptacles infâmes de son pouvoir, l'enfant ne sembla pas l'entendre. Entre ses accès de rire se glissaient parfois quelques mots, incompréhensibles et d'autant plus dérangeants qu'ils étaient prononcés d'une voix grave, différente. On aurait presque pu croire que c'était la poupée qui parlait, mais Chuuya, lui, savait que c'était la personnalité profondément dérangée du garçon qui s'exprimait là. Si l'on avait pu le diagnostiquer, les médecins auraient sans doute penché vers un trouble dissociatif de l'identité, une schizophrénie ou un trouble bipolaire, mais la Mafia n'avait que faire de la santé mentale de ses membres. Plus ils étaient malades, moins ils n'avaient de scrupule, et c'était ça que Mori recherchait. Enfermé dans sa cage d'obscurité, Q n'était qu'une bombe à retardement.

« Eh gamin », répéta-t-il en plaçant une main sur son épaule. Geste que la plupart des membres de l'organisation n'aurait même pas tenté. « On a une mission pour toi. »

Inconscient de sa présence jusqu'alors, l'enfant sursauta. Il cessa de parler, et se tourna lentement vers lui. Il avait les yeux caves et les joues creuses. Depuis combien de temps n'avait-il pas mangé ? Son apparence était négligée et, le mafieux devait l'admettre, il sentait mauvais. Après tout, pourquoi se risquer à prendre soin de lui ?

« Viens... », souffla-t-il. « Tu vas prendre une bonne douche, t'habiller, manger, et ensuite on te mettra au boulot. »

Cette compassion ne lui ressemblait pas...mais se montrer dur avec ce gosse... il ne pouvait pas. Par identification sans doute.

« Viens... »

Comme si la vision de cet être, qu'il aurait pourtant dû reconnaître, venait perturber jusqu'aux fondations de son monde à l'espace restreint et aux portes closes, Kyûsaku eut un vif mouvement de recul. Il hésita, jeta un œil à la poupée qu'il tenait toujours dans sa main avant de reporter son regard sur Chuuya. Son expression avait changé.

« Ne comptes même pas là-dessus », l'avertit l'homme en lui saisissant le bras, récoltant ainsi un cri de protestation de la part du petit. « Tu auras l'occasion de faire mumuse plus tard. »

« Dazai ? »

C'était le premier mot que prononçait l'enfant. Chuuya soupira. Recueilli puis abandonné par l'ancien mafieux, le garçon n'avait gardé de lui qu'un repère tangeant qu'il voulait à la fois retrouver et détruire, et ce de façon obsessionnelle.

« Quoi Dazai ? Je ne suis pas Dazai. »

La main du bambin s'agrippa à son bras. Il sentit ses petits ongles pénétrer sa peau et grimaça de douleur. « Arrête. » L'enfant le fixait désormais et il eut l'impression que ses yeux étaient immenses, aussi grands et vides que ceux de sa poupée de chiffon.

Bungou Stray Dogs - La Déchéance d'un hommeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant