1941Une pluie battante. Le fracas du déluge résonnait comme une musique sans fin, imposante, fracassante, pesante. Le silence régnait en maître, pas le moindre signe de vie à l'horizon. Les quelques baraquements qui avaient dû faire office d'habitat semblaient avoir été désertés. Le toit en tôle que fracassaient les trombes d'eau ne tenait guère et les murs aussi épais que des morceaux de carton tremblaient au moindre coup de tonnerre qui rompait le silence.
Le ciel orageux paraissait noyer les rares arbres et maigres buissons qui parsemés de-ci de-là formaient de petites touches sombres parmi cet horizon gris. Un long sentier serpentait et coupait en deux ce qui avait sûrement été, autrefois, un pauvre village.
Un éclair frappa soudain, illuminant la nuit, transformant la silhouette des arbres en des squelettes à l'allure plus qu'étrange. Il poursuivit son court chemin jusqu'à frapper violemment la cime de l'unique sapin. Une légère étincelle apparue et le résineux s'enflamma à la façon d'une torche tandis que la fumée s'éleva telle une entité rejoignant les cieux.
Une ombre perça les épais nuages rougeâtres en se rapprochant dans un léger bourdonnement. L'oiseau métallique entama lentement sa longue descente avant de se remettre à planer beaucoup plus proche de la terre, transformant ce petit bruit parasite en un grondement sourd. Des choses se détachèrent de l'avion et s'en éloignèrent en tombant lourdement et avec rapidité. Des voiles blanches apparurent gracieusement, ralentissant la chute de ce qui semblait être des êtres humains. Leur descente se finit plus doucement, puis ils finirent leur course en posant leurs pieds sur la terre ferme, sans même un vacillement.
Sans se jeter un regard, ils plièrent leur parachute en un temps record, s'emparèrent de leur sac à dos contenant sans doute les vivres qui leur permettraient de rester en vie, de continuer. Ils jetèrent leur arme sur leur dos et se rangèrent sans un mot puis se mirent en marche dans un silence pesant. Une chouette hulula, brisant le calme un instant avant que celui ne revienne aussi vite qu'il avait été troublé.
Les silhouettes empruntèrent un chemin recouvert de boue et d'herbes hautes leur permettant de se fondre dans le paysage pourtant d'un noir d'encre. Les grosses bottes noires déjà bien abîmées s'enfoncèrent profondément, froissant les herbes sans ménagement, laissant une énorme trace de leur passage. Toutefois, aucun ne semblait s'en soucier. Ils avancèrent lourdement chargés en direction du village qui à première vue paraissait désert.
Un geste de la part de l'homme de tête et le groupe se dispersa en silence, arme à la main. Ils progressèrent jusqu'à atteindre les baraquements. Au même moment, un bruit d'explosion retentit ne leur provoquant aucune réaction visible. Des détonations se succédèrent rapidement, troublant à jamais le calme de la nuit. Le visage déjà bien sale de l'homme qui paraissait être le dirigeant des opérations esquissa un rictus difficile à interpréter. Un mouvement de sa part et le village ne serait plus qu'un maigre souvenir, mais encore faudrait-il que ses habitants soient en vie pour que ce soit le cas. Personne ne savait ce qu'ils étaient devenus...
Un sifflement aigu parvint aux oreilles des soldats et leurs membres effectuèrent les gestes pour lesquels ils avaient été élevés. Avancer. Brandir. Armer. Tirer. Tuer. Ces gestes, froidement et méthodiquement appliqués, s'effectuaient en quelques secondes à peine. Nul besoin de réfléchir. Obéir était leur mot de rappel.
Les portes ne résistèrent à leurs assauts, tombant comme des cartes, dévoilant une pièce emplie d'horreur qui les laissa de marbre. Les corps d'hommes, de femmes, d'enfants, de nourrissons empilés, en décomposition, était la seule et unique chose présente dans ce terrifiant cimetière. Aucun signe de vie.
Les autres maisons subirent le même sort avec le même résultat, à quelque chose près. Personne ne semblait avoir vu au travers des fentes de tuiles les yeux luisant d'un petit garçon d'environ cinq six ans. Celui-ci observait silencieusement ce qui se tramait sous ses yeux d'enfant qui avaient été autrefois innocents. Il se recroquevilla lorsque les silhouettes arrivèrent près de sa cachette en brandissant leur arme à feu. Le sol craqua sous le poids des soldats, mais ces derniers s'arrêtèrent juste au-dessus du garçon qui se mit à prier avec une force redoublée.
Ses mots parurent être entendus puisque les pas s'éloignèrent lentement avant de se stopper une nouvelle fois. Des murmures parvinrent à ses oreilles puis plus rien. Étaient-ils partis ? Était-il sauf ?
Un grincement retentit au-dessus de sa tête et le soulagement laissa place à une terreur sans nom. Le plancher se souleva, laissant apparaître la cachette de l'enfant qui leva ses yeux voilés d'une peur indescriptible. Un visage apparu, froid, impassible, sans âme. Il dévisagea le gamin qui se trouvait sous ses yeux, il était sale et à peine couvert sous le froid d'automne qui régnait en maître. Un enfant, il s'agissait d'un pauvre gamin. Il aurait pu rire, son intuition avait été bonne. Ses sens ne le trompaient jamais. Seulement cette victoire lui laissa un goût amer. Un enfant qui avait perdu ses parents et qui s'était réfugié sous tous ces cadavres dont la puanteur embaumait la pièce. Sa main se porta à son arme, bien décidé d'en finir le plus vite possible.
Le regard bleu nuit du garçon ne le quitta pas une seule fois, aucune larme ne perla, il ne tremblait ni ne suppliait comme l'aurait fait tout autre enfant de son âge ou un adulte. Déstabilisé, l'homme interrompit son geste et soutenu ce regard en tentant de reprendre ses esprits. Il lâcha son arme à feu pour se saisir de son couteau.
Ce gamin ne méritait pas qu'il gaspille une balle et puis ce sera beaucoup plus rapide de lui trancher la gorge et d'éteindre l'étincelle qui brillait dans son regard. Il s'accroupit sans un mot, tenant son arme contre sa cuisse la cachant aux yeux du petit. Celui-ci compris immédiatement et au lieu de fuir, comme l'aurait fait une autre personne, ce qui n'aurait servi à rien, il se signa et sans baisser un instant son regard s'empara d'un bâton à la pointe bien taillée. Cet élément qui avait échappé au soldat se retrouva fiché grâce à un dernier mouvement dans la faible poitrine du garçon. Celle-ci se souleva en un dernier soupir et le corps désormais sans vie s'affaissât.
Le regard dans le vague, l'homme fixait le cadavre chaud de cet enfant. Une chose en moins à faire, pensa-t-il froidement en tournant les talons d'une démarche légère. Il retrouva son groupe et reprit la place qu'il occupait et sur un geste de son supérieur craqua une allumette qu'il jeta sur le petit bâtiment qui s'enflamma sans plus attendre, emportant tout sur son passage. Cela fait, il tourna le dos au brasier et, indifférent à celui-ci, continua son chemin avec ses compagnons d'armes.
Autour de ses doigts se trouvait la chaîne qu'il avait prise. Il n'en aurait plus besoin maintenant, songea-t-il avec une expression neutre. Un beau médaillon en or dont il ignorait l'existence et la manière dont ce gamin ce l'était procuré. Un bijou qu'il garderait pour se rappeler, pour se rappeler qu'il avait presque failli à son devoir...
La colonne continua à marcher encore et encore jusqu'à n'en plus finir. Seulement, ils finirent par disparaître, à se volatiliser, à se fondre dans la nature, dans la société. Depuis ce massacre, personne n'a plus entendu parler d'eux. Personne ne sait ce qu'ils sont devenus... Sont-ils toujours vivants ?
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Un Soleil brisé
ActionCe jour-là, on n'entendit guère grand-chose, les cœurs s'étaient éteints dans leurs poitrines qui se soulevaient quelques instants auparavant. Depuis ce jour, la haine occupait son cœur. Vengeance, quand tes sombres griffes s'emparent de notre corps...