Chapitre 1

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Keran

17 ans plus tard

Je ferme le dernier bouton de ma chemise en soie et ajuste, sous le col, ma cravate jaune poussin – dress code imposé par ma mère pour son renouvellement de vœux avec mon père. Cinquante ans de mariage, les noces d'or, chose qui n'est pas prêt de m'arriver. Même si une belle rousse roupille en ce moment même dans mon lit d'hôtel...

C'est juste une merveilleuse hôtesse de l'air qui m'a fait passer une bonne nuit. Épuisante mais très bonne nuit.

Mon téléphone vibre sur le marbre de la salle de bains au moment où je finis de discipliner mes cheveux sur ma tête. C'est un message d'Éric, mon meilleur ami :

[J'ai loupé le réveil. Je fais vite. On se rejoint en bas.]

J'hésite à lui répondre de prendre son temps. Si je n'ai pas envie de me rendre à cette cérémonie, je n'ai pas non plus besoin de le crier sur tous les toits. Je vais faire comme à chaque fois que je viens dans la maison familiale : je souris, je reste poli et courtois tout en prenant mon mal en patience.

Je récupère ma veste de costume et l'enfile face à la grande baie vitrée qui surplombe l'océan Pacifique. C'est la seule chose que j'apprécie à Los Angeles : observer l'étendue d'eau, se perdre dans l'infini qui nous rend si futile, prendre conscience que chaque soleil couchant dans cette partie du monde est le point final à une journée pour la plupart des hommes sur Terre.

Dommage que je ne puisse pas rester à dormir à l'hôtel durant tout mon séjour. Quatre jours dans la maison qui m'a vu grandir. Quatre petits jours. C'est pas si terrible, non ? Je pousse un profond soupire, oui ça l'est. Je rejoins le lit, et me penche dessus. Je dégage le front de Tina dans une caresse et murmure à son oreille :

— Je m'en vais.

Elle s'étire en baillant ouvre à peine un œil.

— Hum... on se retrouve sur un autre vol ? marmonne-t-elle avant de se retourner contre l'oreiller pour se rendormir.

Je souris. C'est ce que j'aime avec elle. Pas de prise de tête, aucune attache, nous sommes sur la même longueur d'onde. Et comme les précédentes fois où nous nous retrouvons, elle sait que la chambre est payée jusqu'à son embarquement ce soir.

Même si je ne suis pas certain qu'elle m'entende, je l'informe :

— Je rentre à New York mardi.

Je me relève, attrape ma valise cabine et prends la direction de la sortie. Devant la porte de la chambre j'entends Tina dire :

— Envoie-moi ton numéro de vol par message, des fois que je puisse échanger...

Génial, j'aurais sûrement besoin de décompresser.

Je sors de la suite et rejoins l'ascenseur au bout du couloir. J'ai un nouveau message, de mon frère Liam cette fois-ci :

[Tu peux pas t'en empêcher ?]

[Je ne vois pas du tout de quoi tu parles.]

En fait si, mais je l'emmerde. Il pense que je fais exprès d'arriver en retard au renouvellement de vœux de nos parents pour me faire remarquer. Quelque part je ne peux pas lui en vouloir de le croire puisque le seul Keran qu'il connaisse est l'adolescent capricieux et complétement egocentrique que j'étais avant de quitter la maison il y a dix ans. Et comme je n'ai aucune affinité avec lui, et que l'un comme l'autre, nous n'avons jamais espéré que ça change, il ne peut pas connaitre l'homme que je suis aujourd'hui. J'éteins mon téléphone et le glisse dans la poche de ma veste. Je n'attends aucun appel, aucun message.

The Shadow Of Your HeartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant