KeranAssis dans un des fauteuils Chesterfield du bureau de mon père, les yeux fermés, je masse ma tempe activement. J'ai un putain de mal à la tête, une foutue gueule de bois. Il faut dire que j'avais à fêter hier soir. Si mon père n'a jamais lésiné sur les punitions quand il s'agissait de mon frère ou de moi, Zéline, la parfaite petite Zéline, qui n'a jamais eu à se faire pardonner quoi que ce soit, va enfin se prendre une soufflante. D'autant qu'elle a déjà 10 minutes de retard.
Je prie juste pour que le medoc que m'a filé Tania fasse rapidement effet afin que je puisse apprécier ce moment à sa juste valeur. Mais pour l'instant, le moindre bruit résonne dans ma boite crânienne : le froissement des feuilles sous les doigts de mon père me donne l'impression d'être à la place du rouleau d'une machine à papier et le balancier de l'horloge murale me fait penser que je suis sous l'enclume d'un manipulateur télégraphique.
J'ouvre les yeux avec appréhension. Le bureau de mon père est orienté plein Sud et qu'importe qu'il soit à peine neuf heures du matin, la lumière inonde déjà la pièce.
Et m'en met plein la tête. Je grimace.
— Est-ce que je peux fermer un des rideaux ? hasardé-je.
Mon paternel plisse les yeux sur moi de derrière ses lunettes et m'offre un hochement de tête affirmatif.
Je soupire. Il m'a à peine dit bonjour lorsque je suis rentrée et reste depuis silencieux. Je me hisse sur mes jambes et rejoins la fenêtre pour tirer le voile opaque sur une partie du vitrage.
En retournant m'asseoir devant mon père, sur son bureau, j'aperçois l'entête des documents qu'il feuillette : des lignes entremêlées bleues turquoises surmontées des lettres K, I et M.
— Est-ce qu'il y a un problème avec le Keep In Mind ?
— Aucun.
Il amasse les documents en une seule pile parfaitement droite et alignée devant lui et bascule en arrière dans son fauteuil pour me toiser. D'un geste, il me montre mon siège. Je m'assoie non sans prendre une forte inspiration. Toujours faire ce qu'il demande. Ma vie n'est pas ici.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé avec ta sœur ?
Je me tends instantanément. Je dois faire appel à toutes mes forces pour ne pas lui dire ce que je pense de ce qualificatif. Zéline n'est pas ma sœur, hormis sur un bout de papier signé il y a 17 ans par mes parents, pas par moi.
— Elle ne veut pas travailler pour le Stay In Mind, tu l'as entendu, non ?
— C'est ce que j'ai cru comprendre, effectivement. Mais ça n'était pas le moment pour en discuter.
— C'était la goutte de trop qui a fait déborder le vase.
Mon père lâche un rire sarcastique qui fait vibrer ma cervelle.
— La goutte qui a fait déborder quel vase ? Tu n'es jamais ici, hormis pour les rares grandes occasions. Alors je ne vois pas tellement à quel moment les décisions, de ta sœur et les nôtres, ont eu un impact sur ta vie et surtout en quoi ton avis dans son avenir pourrait te concerner !
— Arrête de dire que Zél...
Je taie le reste de ma phrase dans un grognement sourd.
Il secoue la tête de lassitude balayant par la même son mécontentement.
— Quel est ton problème avec Zéline ? Qu'est-ce que tu lui reproches ?
Je suis incapable de lui dire la vérité. Si je n'éprouve aucun scrupule à blesser Zéline, ça n'est pas le cas avec mon père. Au-delà du grand respect que je lui porte, je connais la portée que pourraient avoir mes paroles. Nous avons tous été brisés et rien ne pourra nous réparer. Même pas elle comme lui et ma mère pourraient le laisser penser. Je sens mon cœur battre dans mes tempes, la nausée me prend, et ça n'a rien avoir avec mon mal de crane.
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The Shadow Of Your Heart
RomanceKeran déteste Zéline, sa soeur adoptive. Parce qu'elle a pris la vie d'une autre qui lui était essentiel, parce qu'elle est l'illusion de certain et surtout parce qu'elle ne remplacera jamais sa vraie soeur. Malgré les années et la distance, sa ran...