The Shadow Of Your Heart

Chapitre 8

Zéline

Comme dirait Pam, j'ai passé une nuit de merde.

Du plus loin que je me souvienne, j'ai toujours eu des difficultés à m'endormir. Avoir consulté des pédopsychiatres dans mon enfance, puis des énergéticiennes, des marabouts et le dealeur du coin, plus tard, n'a pas résolu le problème : chaque soir, je dois prendre mon mal en patience pour trouver mes rêves.

Avec les années, j'ai appris à gérer, j'ai construit des rituels pour m'aider : laisser le placard de ma chambre éclairé et ouvert, regarder plusieurs fois sous mon lit, avoir à disposition une lampe torche, mettre Gaby sous mon oreiller et surtout choisir une lecture soporifique.

En ce moment je suis sur « La fiscalité internationale des États-Unis ». Et bien... Marc Bauen est sans doute un très bon économiste, il est nul à chier pour ce qui est de m'aider à m'endormir.

La nouveauté, l'inconnu, l'appréhension de ne rien maîtriser et d'être impuissante ont monopolisé mes pensées... J'ai passé plus de temps à imaginer mon entrée dans l'agence, à ce que j'allais dire, à me répéter mon identité qu'à me projeter dans mon sommeil. Sans doute que le décalage horaire et la faim n'ont rien fait pour améliorer les choses.

D'ailleurs ce matin, je me sens presque faible au réveil, je n'ai rien mangé depuis 24h et j'ai très peu dormi. Mais si hier, j'ai consenti à respecter la règle de territoire et de propriété « imposée » par Keran sur la nourriture, il est hors de question que je parte le ventre vide. Je me suis préparée dans le plus grand silence – bénissant en partie mon frère de m'avoir offert une chambre qui possède sa propre salle de bains – puis lorsque j'ai été sure qu'il était parti, j'ai filé droit dans la cuisine. Dans un placard – à moitié vide – j'ai trouvé de son côté un pain d'épice. Une tranche à la main, une autre déjà dans la bouche, j'ai quitté l'Underwood prête à affronter le métro New-Yorkais.

Haletante. Épuisée ? Je le suis déjà ! Quoi qu'il en soit, c'était moins une, car après 20 minutes sur les rames et 10 minutes au pas de course dans les rues, j'arrive devant l'agence, pile à l'heure.

Une chose est certaine, je vais devoir revoir mon organisation matinale ou me résigner à croiser le chemin de mon hôte.

J'appuie directement sur la sonnette du Keep In Mind, m'annonce, puis après un bruit strident, la porte de l'ancienne usine désaffectée s'ouvre sur un petit hall. Je laisse les escaliers à demain, j'ai déjà explosé ma consommation calorifique du jour, je prends l'ascenseur. Le temps que la cabine gravisse les 3 étages, je profite pour lisser mon tailleur, réajuster ma posture et pour retrouver une respiration normale.

Ainsi quand les portes s'ouvrent, je suis parfaitement présentable. J'engage le pas et me fais surprendre par quelqu'un à ma droite :

— Bonjour, je suis Ana, l'agent d'accueil du Keep In Mind.

Debout à côté d'une banque d'accueil, une jeune femme blonde au teint translucide me dévisage longuement de la tête aux pieds. Je récite d'une traite :

— Bonjour, je suis Zéline Marrs, la nouvelle stagiaire au poste de média-planneur.

Je ne compte plus le nombre de fois où je me le suis dit devant la glace afin de ne pas me tromper aujourd'hui.

— Très bien. Je vous laisse patienter.

Elle accompagne sa politesse d'un geste m'indiquant un groupement de fauteuils en velours bleu turquoise. Alors qu'elle disparait derrière le mur de l'accueil sur lequel est écrit en lettre dorée « KEEP IN MIND », je rejoins le coin qu'elle m'a suggéré.

Ça n'était pas ce que je m'étais imaginée. Pas l'agence en elle-même, mais plutôt mon entrée « en matière ». Je devais tendre la main, être plus joviale, davantage souriante et moins coincée. Au lieu de quoi, je suis restée figée tel l'arrêt sur image d'un film nul à chier.