Chapitre 15

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Zeline

Cette soirée avec Amber était géniale. Amusante, entière, un peu fofolle, j'ai trouvé une réplique de ma meilleure amie, à quelque chose près qu'elle aime les filles.

Je me suis juste retrouvée légèrement stupide quand je l'ai vue embrasser sa copine : Shirley. À pleines bouches, langues et mains dans les cheveux, la totale, c'était comme si je regardais un film au tout premier rang dans une salle de cinéma, avec le haut-parleur dans les oreilles... Je ne m'y attendais pas. Suis-je vraiment si chétive au point de ne pas comprendre les personnes qui m'entourent ?

Quoi qu'il en soit, j'ai pu rapidement faire le lien avec la remarque que m'avait fait Keran lors de mon départ de l'appartement : « Tu aimes les nanas ? ». Non, pas que je sache.

Si j'ai peur d'un placard, je n'ai pas peur des hommes quelqu'ils soient. J'ai appris à me défendre, à me faire oublier, à passer inaperçue. Mais à l'instant même où j'ai enfilé cette robe noire, j'ai balayé certains de mes principes. Après tout, je ne pouvais pas me rendre dans un restaurant ultra chic – comme me l'avait indiqué Amber – en jean-baskets. Rajouté à ça, que je garderais forcément le contrôle de ma conscience puisque je ne bois pas et que je ne me drogue pas. Je n'avais juste pas prévu de tomber nez à nez avec Éric et Keran en sortant de ma chambre.

J'ai pensé à rebrousser chemin. Mais dans leurs regards, je me suis sentie différente, à tel point qu'un incendie a fait rage dans mes joues. Si la veille, Keran avait suggéré que je faisais pitié, dès lors dans cette robe, j'étais tout le contraire. Et ça m'a... galvanisé. Comme si je ressentais le besoin qu'il me voit comme une femme audacieuse. Est-ce que je l'ai été ?

Oui mais un peu moins dans le restaurant avec Amber et Shirley, quand le serveur qui louchait littéralement sur mes seins m'obligeait à répéter ma commande. J'ai enfilé ma veste qu'importe qu'il fasse chaud. Et rire à gorge déployée à toutes les bêtises de Shirley n'a pas aidé. Elle travaille pour une hotline comme opératrice de téléphone rose, en clair elle vend du sexe avec sa voix. Et si le serveur m'avait mise mal à l'aise, Shirley s'est chargé de lui rendre la pareille en commentant un « merveilleux banana spilt avec supplément chantilly » au dessert. Le pauvre garçon, j'ai cru qu'il allait avoir un orgasme sur place.

Sitôt nous avons fini de manger, les filles ont joué les guides touristiques et m'ont mené jusqu'à Central Park à pieds... ce fut super, sauf pour mes orteils, et jusqu'à ce que mon ventre m'intime l'ordre de rentrer.

De toute façon je ne me voyais pas les suivre en boîte de nuit. Réussir à ne pas vomir dans le taxi a tenu du miracle. Mais une fois dans ma chambre, j'ai retrouvé la totalité de mon repas dans les toilettes. J'ai espéré que ça s'arrête quand Keran est arrivé. Autant pour ma tête et ma gorge qui me faisaient atrocement souffrir que pour qu'il me fiche la paix. J'aurais sans doute mieux fait de le laisser croire que j'avais trop bu, ça lui aurait donné prétexte à me laisser. Mais j'ai toujours cette nécessité quand je suis en sa présence, de lui prouver qu'il a tort à mon sujet, que je suis mieux que ce qu'il pense de moi.

Comme si ça pouvait avoir son importance.

Est-ce que je pense que ça en a eu cette nuit ? Sans doute assez puisqu'à chaque fois que je me réveillais je le retrouvais endormi dans le fauteuil à côté de mon lit. Et que je n'ai pas eu envie une seule fois de lui dire de regagner sa chambre. Comme lorsque j'étais toute petite et qu'il me construisait des cabanes dans le placard pour ne plus avoir peur. Cette époque, si lointaine et si courte fut-elle, est toujours bien ancrée dans ma tête, et qu'il le veuille ou non, un jour, il a été mon frère.

Lorsque je me réveille avec l'envie pressante d'uriner, Keran n'est plus là. Je cours jusqu'aux toilettes et me rafraîchis devant ma mine affreuse dans le miroir : j'ai le teint pâle et des cernes si prononcées que tout un pot de fond de teint n'y ferait rien. Et s'il n'y avait que ça, je me sens si faible qu'une brise me ferait tomber. Dans ma chambre, j'entrouvre les rideaux. Le soleil est déjà passé derrière le bâtiment et éclaire faiblement ceux d'en face de ma fenêtre. C'est la fin de la journée. Mais quelle heure est-il ? Pas besoin de chercher la réponse sur mon téléphone. La batterie est HS. Je le branche et pense à me recoucher un instant.

The Shadow Of Your HeartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant