Chapitre 13

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Keran

J'ai passé une nuit étrange, imprégnée de rêves mélangeant des souvenirs de Zeline, enfant, et une version édulcorée d'aujourd'hui.

Je me suis réveillé plusieurs fois trempé de sueur, l'esprit embrumé à me demander où j'étais, et si les cris de Zeline qui résonnaient dans ma tête, provenait de sa chambre ou de mon esprit.

Si je n'ai pas vécu assez de temps avec elle pour la voir grandir, sa chambre, juste à côté de la mienne chez mes parents, ne m'a pas épargné la première année où elle est arrivée. Je refoule les images d'elle, le visage humide de ses larmes, toute petite, prostrée au fond d'un placard. Ça arrivait si souvent. Mais je ne veux pas me rappeler.

Me rappeler que j'ai failli l'adopter moi aussi.

Je préfère penser que ça n'a jamais existé, je préfère me rattacher à d'autres souvenirs, qu'importe qu'ils soient douloureux.

Finalement, aux aurores, j'abandonne l'idée de dormir une nuit complète. Je prends une douche glaciale, histoire de remettre de l'ordre dans ma tête. Et il n'y a pas que là qu'il y a du rangement à faire. La cuisine est telle que je l'ai laissé la veille. La poêle pleine de sauce est toujours sur la plaque, le plan de travail est un vrai champ de bataille : de la tomate séchée, des peaux d'oignons sont collés partout.

— Fais chier.

Je passe une bonne demi-heure à tout récurer et lorsque vient le moment de me préparer un truc, Zeline débarque.

Adieu le vieux T-shirt de la veille et bonjour le truc à fines bretelles qui couvre à peine ses seins et le mini short d'où ses fesses s'échappent à chaque pas. Mais d'où vient cette nana ? Elle n'a donc aucune pitié pour mon cerveau de mec ? Je secoue la tête pour me rappeler à l'ordre, c'est de Zéline dont il est question, pas d'une nana sexy que j'aurais envie de sauter. Elle me passe devant sans un mot, sans un regard sa panière à linge dans les bras et prend la direction de la buanderie.

Alors que je me prépare des œufs brouillés et du bacon grillé, la revoilà. Elle pénètre à plusieurs reprises dans mon périmètre de sécurité pour se servir un bol de lait froid et des céréales. Je dois à chaque fois me concentrer sur la crédence devant moi pour ne pas lorgner tantôt son cul, tantôt sa poitrine outrageusement proéminente.

Quand elle se penche sur ma poêle en grimaçant d'écœurement, je percute que tout est en train de cramer.

— Merde, dis-je en coupant le feu tandis qu'elle s'échappe dans le salon.

Ce sont mes œufs. Immangeables.

— Faut qu'on parle ménage ! lancé-je.

Parce qu'il est hors de question que je sois le seul à mettre la main à la patte dans l'appartement. Pour seule réponse, j'ai droit au bruit de la télévision. Je la rejoins, décidé à entamer un dialogue. Les pieds en éventail sur la table basse, elle matte un clip d'Ed Sheeran tout en mangeant son petit déjeuner sur le fauteuil.

— Fais attention, au canapé, avertis-je.

Elle m'ignore encore, portant une cuillère remplit de céréales à la bouche. Je sens la colère gagner du terrain dans mes veines, je choppe la télécommande de la TV et je l'éteints.

— Zéline, tu as perdu ta langue ?!

Elle tourne, enfin, la tête dans ma direction, mais le visage aussi froid que celui d'une poupée de porcelaine, elle se contente de me regarder.

— Nous allons établir un planning.

Aucune réponse, elle bat lentement des paupières, totalement indifférente. Je vais péter une durite alors que finalement ça ne serait pas une si mauvaise idée de ne plus l'entendre.

The Shadow Of Your HeartOù les histoires vivent. Découvrez maintenant