18 - Se faire virer

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John

Deux semaines plus tard, je n'ai toujours rien dit à Steve. Je n'ai pas trouvé le courage de lui avouer ce qu'il se passait chez moi. Je crois que d'une certaine façon j'en ai honte. Néanmoins j'ai réussi à m'ouvrir un peu plus à l'inconnu et ça m'a fait du bien. Je me suis sentie écouté, tout comme j'ai fait en sorte de l'aider dans ses tourments. Lui non plus n'a pas parlé à son fils de son passé. Il faut croire que d'un certain côté, nous nous ressemblons plus que j'aurais pu le croire.

‡ ‡ ‡

Direction le cours de mathématiques avec Gaëtan, soit le papa de Steve. J'adore sa matière ce n'est pas le problème, c'est juste que je m'y ennuie trop.

— Salut John !

Un pote de classe me met une tape dans le dos pour me dire bonjour et je la lui rend avec un sourire de canaille. Jouer le jeu je sais faire, surtout quand le jeu est en fait mon quotidien. Etre quelqu'un d'autre plus souvent qu'on est soi-même nous pousse à notre perte finalement. Désormais je ne sais plus trop qui je suis. Je me suis perdu mais ça ne fait rien car personne ne sait que je ne me connais pas moi-même.

— Salut Brad ! Comment tu vas ?

Je m'en fiche mais c'est les règles de politesse.

— Très bien et toi ?

— A merveille, comme toujours ! je m'exclame avec un ton trop joyeux qui semble sonner faux qu'à mes oreilles.

— Près à mettre la misère au prof ? demande Kevin.

— Moi oui, toi pas sûr, je lui réponds un air provocateur.

Ici c'est mon royaume et j'en suis le roi tandis que les autres élèves sont les fous. Je ne sais même pas comment j'en suis arrivé là mais cette place est confortable. Je suis intouchable sur mon piédestal. 

— Après le coup de la dernière fois que comptes-tu lui sortir ? me demande mon troisième pote.

— Je n'en sais rien, je verrais sur le moment. Je ne suis pas obligé de le saquer à chaque fois, le prof tombera en burn out, dis-je feignant la compassion.

— Arrête John, c'est vraiment dur comme métier, tu te rends compte qu'il doit supporter des gens comme toi ? me coupe Damien - un gars que je ne peux pas voir en peinture.

— Tu veux quoi l'obséquieux ? je le questionne avec mon petit air supérieur.

— Quoi ?

Il ne semble pas connaître ce mot. A cet instant je me sens pousser des ailes.

— Tu ne vas pas me dire que tu ne connais pas cet adjectif ? je me moque. Toi le petit intello du premier rang ?

C'est bas j'en suis conscient, mais être adulé dans ce lycée me fait sentir moins merdique quand je rentre chez moi. Comme si l'importance que mes camarades me donnent pouvait compenser l'indifférence que mes parents ont à mon égard.

— Johnson tu n'es pas vraiment sympa, murmure Brad.

— Ça te pose un problème ? je lui demande sèchement, le regard mauvais encré dans le sien. Et je m'appelle John.

Il n'a pas le temps de rétorquer que le professeur ouvre la salle.

Tout le monde se tait et nous rentrons les uns après les autres. Bien que je sois le dernier à passer le seuil de la classe, ma place au fond est libre. Je m'installe au milieu de mes potes et sors un stylo. Je ne prends jamais les cours sauf s'il nous donne des feuilles. cette fois ça n'a rien à voir avec le fais que je l'apprécie ou non, c'est juste que ça ne me sert pas.

Gaëtan fait l'appel puis commence son cours.

En personne provocatrice que je suis, je sors mon téléphone et pianote dessus. A vrai dire je ne fais rien de spéciale, je cherche des informations sur les lois de la physique. Il faut croire que je me cultive un minimum pour un mec qui aime ne rien faire.

— John range moi ton téléphone, m'ordonne le professeur.

— Tu ne veux pas que j'apprenne des choses ? je le cherche.

— Suis mon cours au lieu de chercher des théories sur la naissance des étoiles ou je ne sais pas quoi d'autre.

— C'est très intéressant, plus que ton cours, je rétorque.

— Tu pourrais me vouvoyer comme tous les élèves présents dans cette classe ?

— Mais on se connaît, c'est différent.

Des élèves pouffent tandis que Gaëtan souffle.

— Super, tu vas nous la jouer comme ça. Qu'as-tu appris de beau alors ?

— Jules Jasmin a dit « quand une loi physique est constatée pour un corps arbitrairement choisi, on doit s'attendre à la retrouver dans tous les cas analogues », je récite pas peu fier de ma trouvaille du jour.

— Tu peux nous en parler ? Expliciter cette citation ? Tu penses que c'est plus intéressant que les mathématiques ?

— Je ne dis pas ça, le contredis-je. Je pense juste que ton cours est ennuyant à mourir. J'ai vingt à tous mes contrôles, pourquoi je m'embêterais à t'écouter.

— On va pas repartir sur ce débat-là John, s'agace mon professeur.

— Pourquoi pas ?

— Parce que d'autres élèves veulent suivre ce cours, tu n'es pas seul.

— Je peux très bien rester sur mon portable, je ne dérange personne.

— C'est enfreindre le règlement de l'école, tu n'as pas le droit et c'est comme ça.

— Alors je peux partir ? je le questionne.

— Non. Tu restes ici, m'ordonne-t-il.

— Mais si je ne fais rien à quoi ça sert ? 

— Tu en as le devoir en tant qu'élève.

— Sérieusement Gaëtan, je ne fais rien dans ton cours. Même Steve s'y ennuierai, lui dis-je en portant le coup de grâce.

— Ben justement il n'est pas là alors laisse-le en paix avec ses cours de philosophie et suis le mien. J'en ai marre de devoir m'interrompre pour toi à chaque cours.

— Alors vire moi de ta salle au moins tu seras tranquille, je le défi.

— Combien de fois t'ai-je demandé de me vouvoyer ?

— Tu fais perdre du temps de cours aux autres. Vire-moi ce sera plus simple et de toute façon c'est toi qui signe mes mots d'absences.

— Très bien, à ce soir alors et maintenant disparais.

— Avec plaisir !

Je ramasse mes affaires, lui fais un grand sourire et sors de classe dans une révérence magistrale. Seulement, avant de fermer la porte je demande :

— Je vais sortir Steve de son cours, ça te gêne pas ?

— Vous êtes arrivés en retard ce matin John, commence-t-il à s'impatienter. Laisse-le en paix.

— Parfait, je dirai à sa prof qu'il a un rendez-vous.

— Oust, dégage de cette classe ! s'énerve Gaëtan en me fermant la porte au nez.

Une fois dehors, je l'entends reprendre son cours :

— Maintenant qu'il est dehors nous pouvons travailler. Nous étions aux...

Je m'éloigne et pars chercher Steve. Je suis désolé pour lui mais le faire sortir de cours est toujours drôle.

Le jeu perdantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant