30 - Neuvième échange

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John

Deux semaines se sont écoulées depuis que j'ai parlé avec Steve. Je n'ai pas osé le voir depuis, je ne suis pas retourné en cours non plus. Et vu qu'il ne sais pas où je vis, il ne peut pas venir me sortir de mon terrier. J'ai peur de sa pitié et de sa joie. Depuis tout ce temps, je continue de parler avec l'inconnu. On apprend à se connaître et finalement, moi qui voulais découvrir ses vices et ses déboires, je me me rends compte qu'il est sûrement l'être humain le plus équilibré que je connaisse sur cette terre - après Stevenson, cela va de soit. Je m'attache à lui, petit à petit je souris devant les notifications, en lisant ses messages, en pensant à ce qu'il me dit. Je crois, que pour la première fois de ma vie, je m'accroche à une autre relation que celle que j'entretiens avec mon meilleur ami. Une relation que je n'ose pas définir, j'ai peur d'ouvrir les yeux sur mes sentiments et de mettre des mots dessus. J'aime être dans le déni il faut croire.

‡ ‡ ‡

Recroquevillé dans mon lit, j'attends que le temps passe, que les heures s'écoulent J'ai envie que tout s'arrête. Je veux que la vie se stop, se mette sur pause et me laisse reprendre ma respiration. J'ai envie de mieux que ce que j'ai. Je veux atteindre les sommets et là, je chute un peu plus profondément chaque jour. Je m'enfonce dans des ténèbres dont je ne veux pas sortir. La situation de mes parents m'apparaît comme étant de plus en plus réelle et encrée, je ne sais pas quoi faire. J'en ai parlé à Steve mais malgré son nouveau statut d'adulte il n'a aucun pouvoir. Si je fais un signalement comme quoi mes parents ont besoin d'aide ont m'enlèvera à leur garde et ça c'est inimaginable. Je ne veux pas aller dans un foyer d'accueil durant les deux mois qui me restent. C'est hors de question de devoir changer mes habitudes, même si pour ça je dois prendre mon mal en patience. Plus de dix-sept ans que je vis dans cette situation, ce n'est pas quelques mois de plus qui vont me tuer.

Je fixe la porte de ma chambre, j'ai peur que mon père débarque. Depuis que j'ai évoqué sa soeur, dont il ne m'a pas parlé, et le garçon dont il était amoureux, il n'est plus le même. Il boit plus, comme si c'était possible et dans ses yeux se logent une haine que je n'ai jamais vu chez personne. Je ne comprends pas ce qu'il se passe. J'ai essayé de retourner le voir pour qu'il m'explique mais il n'a rien voulu entendre. A la place il m'a dit que tout était de la faute du garçon, que s'il n'avait jamais touché à la drogue il n'en serait pas là non plus. D'une certaine manière je déteste être en vie pour assister à la déchéance de mon père qui semblait si lumineux en étant jeune. J'aurais aimé rencontré ce garçon plutôt que l'addict que je crois dès que je me rends dans la pièce principale de cette minuscule caravane.

Mon téléphone ne fait que vibrer. C'est Steve qui tente de m'appeler en vain. Je ne réponds même pas à ses messages. Je fais le mort. Je n'ai pas ouvert un seul de ses messages. J'en ai une bonne centaine en attente mais je ne me sens pas de lui répondre. Je ne sais pas quoi lui dire.

Les seuls que j'ouvrent sont ceux de l'inconnu. J'en reçois d'ailleurs un nouveau.

Lui - 21h45
Hey, ça fait longtemps que tu ne m'envoies plus les premiers messages.

Il a raison, mais j'ai peur d'être envahissant, j'ai peur de ce que je ressens.

Lui - 21h47
Dis-moi si tu ne veux plus me parler.

Moi - 21h47
Ça n'a rien à voir.
C'est compliqué pour moi en ce moment.

Lui - 21h48
Tu veux m'en parler ?
On est pas obligé de toujours parler avec légèreté tu sais.
On peut aussi se confier, comme nous l'avons fait au début qu'on se parlait.

Moi - 21h48
D'accord.
Je peux te poser une question ?

Lui - 21h49
On ne change pas les bonnes habitudes.

Un sourire s'invite sur mon visage et des papillons commencent à se balader dans mon ventre.

Moi - 21h49
Tu as pu parler à ton fils ?

Lui - 21h49
Oui, la semaine dernière.

Moi - 21h50
Ça c'est bien passé ?
Tu me disais que tu redoutais ce moment.

Lui - 21h51
Oui ne t'en fais pas. J'ai été étonné qu'il ne me blâme pas en quelque sorte. Je m'attendais à ce qu'il me reproche de l'avoir gardé, qu'il m'en veuille de lui avoir caché que je n'étais pas un exemple dans ma jeunesse et au final il a compris. J'avais tord de douter de lui, il est intelligent et assez grand pour savoir que parfois, nous faisons juste du mieux que nous pouvons.

Moi - 21h52
Je suis content pour toi alors.
Vraiment.

Lui - 21h52
Le seul soucis c'est qu'il veut retrouver Doriane mais je ne sais pas où la trouver.
Tu n'aurais pas une idée ?

Moi - 21h52
Je suis désolé de t'avoir à ta l'apprendre, elle est décédé il y a quelques années.
J'ai réussi à soutirer l'info à mon père.

Lui - 21h53
Merde.
Fais chier.
J'aurais du lui parler plus tôt.

Moi - 21h53
Tu n'as pas à t'en vouloir, tu n'y peux rien.
Comme tu l'as dit toi même, tu as juste fait au mieux.

Lui - 21h54
J'aurais pu faire plus justement.

Moi - 21h54
Arrête de te flageller, c'est passé. Tu ne peux rien changer.

Lui - 21h55
Tu penses qu'il va le prendre comment ?

Moi - 21h55
Je ne sais pas, je ne connais pas ton fils.

Moi - 21h56
Mais s'il s'agissait de moi, je ne pense pas que je t'en voudrais car c'est un élément indépendant de ta volonté. Tu n'as pas choisi sa mort, ni qu'elle reste loin de toi. Ce sont ses choix qui l'ont mené à la tombe.

Lui - 21h56
De quelle façon est-elle morte ?

Moi - 21h57
Elle avait de la cocaïne dans le sang alors qu'elle était au volant.
Elle a pris un arbre.

Lui - 21h57
Oh merde.

Moi - 21h57
Désolé de te l'annoncer comme ça.

Lui - 21h58
Il n'y a pas trente-six façons de parler du décès de quelqu'un...

Moi - 21h58
C'est vrai.

Lui - 21h58
Et toi alors ?

Moi - 21h58
Moi ?

Lui - 21h59
Oui, raconte-moi.

Je lui fais confiance, alors je me confie à lui sans trop tergiverser.

Le jeu perdantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant