Le jeu perdant

10 - Quatrième échange

John

Allongé sur le lit de Steve, sa tête sur mon torse, je laisse balader mes doigts dans ses cheveux. Mon meilleur ami semble apaisé et dort comme un bébé, tandis que je repasse en boucle l'image de son père en train d'embrasser ce mec que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam. De toute façon ce n'est pas mon problème. Je n'ai pas à me mêler de ses histoire de cul. Ça ne me regarde pas.

Néanmoins, quelque chose en moi se fissure, comme si on venait de me trahir alors que pas du tout. On ne s'est jamais vraiment parlé. Comment pourrais-je privatiser son corps et ses lèvres ? C'est ridicule.

Je n'ai pas encore dormi quand le soleil pointe le bout de son nez. Il doit être à peine sept ou huit heures. Je déteste l'hiver et ses journées beaucoup trop courte. Entre le ciel gris et presque noir le matin quand nous devons partir tôt au lycée et la nuit qui nous accueille en rentrant chez nous. Comme si notre vie se résumait à nos études alors qu'en rentrant chez moi je dois me confronter à la dure réalité : mes parents.

Prenant mon courage, je récupère mon téléphone sur la table de nuit et me dirige sur l'application message. La personne avec qui je discute ne me connait pas et c'est réciproque alors je n'ai pas peur de lui confier mes propres peurs, mes propres envies. Il ne me jugera pas puisqu'il ne sait pas qui je suis.

Moi - 7h32
Il y a bien une chose dont je rêve. Mais je dois dire que ce n'est pas aussi enivrant que la tienne.

Quelques minutes s'écoulent avant que je ne reçoive une réponse de sa part. Je me demande même s'il n'est pas occupé ailleurs.

Lui - 7h44
Et alors ? Peut-être que je suis juste plus timbré que toi.

Moi - 7h44
Ou que tu peux te permettre de fantasmer.

Lui - 7h45
Parles-moi de toi un peu. Tu connais un de mes secrets. A moi de découvrir un des tiens.

Je ne réponds pas. Je n'y arrive pas finalement. Je ne peux pas confier ça même si je sais qu'il ne me jugera pas. C'est trop personnel, trop intime. Trop tout.

Lui - 7h45
On va faire autrement : action ou vérité ?

Moi - 7h46
Tu ne peux pas encore changer les règles. C'est moi qui ai lancé en premier les dés.

Lui - 7h47
Ça ne fait rien, je joue aussi alors je peux les modifier.

Moi - 7h47
Très bien, j'accepte. Vérité.

Lui - 7h47
Petit joueur.

Je souris face à sa réponse.

Moi - 7h47
Tout dépend de la question.

Lui - 7h47
Pas faux.

Moi - 7h48
Alors ?

Voyant qu'aucun message de sa part n'arrive je me perds dans mes pensées et tente de réfléchir à la dernière fois où j'ai été heureuse. Malheureusement je n'arrive pas à en trouver. Je me souviens de situations où j'ai éprouvé de la joie, ça oui. Mais le bonheur, non. Comme s'il n'avait jamais existé. Ça m'attriste dans un certain sens car ça voudrait dire que je n'ai jamais été pleinement satisfait de mes choix et de mes actions...