24 - Professeur

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Inconnu

Malgré mon anxiété, je continu de parler avec légèreté à l'inconnu jusqu'à ce que deux heures du matin s'affiche sur mon portable.

Moi - 02h11
Je dois aller me coucher.

Sans nom - 02h11
Tu es fatigué ?

Moi - 02h12
Pas vraiment mais je travail demain. Je dois être en forme.

Sans nom - 02h12
C'est vrai que de mon côté j'ai cours aussi.
Tu travailles dans quoi ?

Moi - 02h12
Dans l'enseignement.

Sans nom - 02h12
Tu aimes ton métier ?

Moi - 02h13
Oui, sauf quand on ne me respecte pas.
Certains sont ingérables mais il faut faire avec.

Sans nom - 02h13
Courage alors.

Si l'inconnu est celui à qui je pense, ce serait mal venu de sa part de compatir pour moi. Car c'est lui qui me fait vivre un enfer à chaque fois que je l'ai en cours.

Moi - 02h13
Merci.
Passe une bonne nuit.

Sans nom - 02h14
Toi aussi.
Sûrement à demain.

Moi - 02h14
A demain.

Je coupe mon téléphone, le pause sur ma table de chevet et le branche au câble pour qu'il ai de la batterie demain.

‡ ‡ ‡

— Johnson !

Mon cri résonne dans la classe avant de mourir dans l'air. Plus personne ne pipe mot et ça m'arrange. Je n'en peut plus de faire cours à des terminales qui pensent pouvoir tout se permettre jusque parce que c'est leur dernière année. C'est quoi qu'ils ne comprennent pas dans les mots « année décisif pour votre avenir ». C'est leur BAC qu'ils jouent.

— Je m'appelle John, ose me reprendre l'élève que je viens de gronder.

— Parce que tu crois que ton prénom est à la carte ? je m'énerve face à sa nonchalance. Que tu peux le changer comme ça te chante ? Tu as des parents qui l'ont choisi alors respect le !

— Evidemment, mon prénom entier ne me correspond pas, alors oui, j'ai le droit de le diminuer. C'est moi qui le porte, rétorque-t-il avec plus d'ardeur et une pointe de défi dans les yeux.

— Très bien John, cédé-je. Peux-tu sortir de mon cours ? je lui demande avec exaspération.

— Avec plaisir Gaëtan.

— Pas cette fois. Aujourd'hui tu pars faire un tour chez le directeur pour réguler tous tes retards, je lui apprends.

Son visage se décompose un fugace instant et quelque chose se brise dans son regard mais il garde la face.

— Parfait alors.

Il a beau garder une façade de mec qui sait ce qu'il fait, je remarque le léger tremblement dans sa voix. A force de trainer chez moi, je le connais plutôt bien. Je le suis du regard quand il sort. Pour une fois, il me dit pas qu'il par sortir Steve de cours, j'en suis étonné. Quand il passe le pas de la porte, je me tourne vers ma classe toujours calme.

— Restez sage, je reviens. Je ne veux aucun bruit, les prévins-je en quittant la salle.

En sortant, je rattrape John par la manche et lui fait faire volte-face.

— Que me veux-tu ? me demande-t-il avec une agressivité non feinte.

— Je veux savoir ce qu'il se passe.

— Je n'ai rien à te dire. On sait tous les deux que tu ne peux pas me voir.

Ok, il a pas tort mais tout de même. Il pourrait prendre la peine de me demander les raisons qui me pousse à me méfier de lui.

— Tu vois, reprend-il la parole, tu n'as rien à redire. Je suis juste une tâche sur ton tableau familial.

— Mais de quoi parles-tu ? je le questionne sincèrement déboussolé.

— Ça te saoule que je passe ma vie avec ton fils et que je m'incruste chez toi. Je le sais.

— Ce n'est pas le problème, j'affirme en affrontant son regard.

— Ah oui ?

Dans un geste de colère il se libère de ma poigne et recommence son avancé vers la sorti de l'établissement.
A nouveau je l'attrape et ne le lâche plus.

— Le problème c'est que tu passes ton temps à fuir John.

— Je suis peut-être lâche, qui sait ?

— Arrête tes bêtises, je l'implore.

— Si tu veux bien me lâcher, j'ai un directeur à aller voir, me dit-il à bout de nerfs.

— Je m'occupe de tes absences et retards depuis des années, donc j'irai m'en charger mais en échange je veux la vérité.

— Je ne veux pas de ta pitié.

— Ce n'en est pas. J'ai envie de t'aider, je veux faire mon maximum possible pour ça.

— Arrêtes de dire de la merde, m'ordonne-t-il à son tour.

— On sait tous les deux que tu aurais aimé m'avoir comme père même si je n'ai jamais compris pourquoi tu ne parlais jamais du tient, je lui explique. Mais nous savons que je ne l'ai jamais été et le serai jamais. Je ne suis pas fait pour être ton père, quand tu avais huit ans c'était discutable, mais aujourd'hui c'est un sujet enterré.

— Pourquoi ça ?

La lueur de défi est à nouveau présente dans ses iris et un sourire à demi moqueur est inscrit sur son visage.

— Que devrais-je savoir ? revient John à la charge.

Que mon coeur bas plus vite depuis que ma main est accroché à ton bras ? Non, mauvaise idée.

— Tu considères Steve comme ton frère, mais je ne suis pas ton père, je suis désolé.

— Finalement je pense préfèrer cette réponse, murmure-t-il.

— Je peux savoir pourquoi ?

Il secoue la tête tandis que je regarde ses cheveux ondulés encadrer son visage à la perfection.
Je crois que je suis dans la merde. Entre la différence d'âge et nos activités, le jeu est perdu d'avance.

— Non, réponds-je catégorique.

— Même pas un peu ? me taquine-t-il.

— Tu me dis rien sur ta vie, je ne dis rien sur la mienne.

— Donc tu as bien des choses à dire.

— Qui n'a pas de secrets ? me demande-t-il de façon rétorique.

Je prends une grande inspiration pour calmer les battements frénétiques de mon coeur et le tire un peu plus vers moi car avoir le bras tendu n'est pas des plus confortable.

— John tu vas retourner en cours avec moi et ne pas faire de vague. Nous nous parlerons tranquillement ce soir. D'accord ?

Il ne répond pas.

— John ?

— Pourquoi ce soir ? me questionne-t-il.

— Je n'ai pas envie d'attendre des millénaires avant d'avoir une vrai conversation avec toi. C'est aussi simple que ça, lui dis-je avec désinvolture.

— J'accepte de venir. Mais je veux qu'on soit sur la même longueur d'onde : on se laisse mutuellement en paix, négocie John.

— Ça me va.

Je l'entraîne jusqu'à la salle qui se situe à deux portes tout juste. En rentrant, le silence règne. Je les remercie pour leur parle ce et fais signe à John de retourner s'asseoir.

Sous les regards intrigués de ses potes, il se replace à sa table, sorts ses affaires et ne pipe mot. Les élèves sont tellement surpris qu'ils ne trouvent rien à redire.

Mon cours peu enfin avoir lieu.

Le jeu perdantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant