Un début d'hiver

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– Japon, début des années 2000 -

L'arrivée de l'hiver dénude les arbres de leurs dernières feuilles. Les premiers flocons de neige se font attendre, mais déjà les écharpes et bonnets sont sortis des fonds de placard. Dans les rues commerçantes on étale ci et là les décorations de Noël pour appâter les clients. C'est la saison des chocolats chauds et des couvertures chauffantes dans laquelle on aime s'emmitoufler alors que dehors les températures chutent comme les ultimes pétales des branches.

Dans une très grande maison froide, un réveil sonne inlassablement depuis d'interminables secondes. Une main flasque s'abat sur lui pour le faire taire, avant de se refugier dans la couette par laquelle elle est sortie.

– Mademoiselle ! Vous allez être en retard ! crie une voix distinguée et féminine derrière la porte.

Un râle lui répond, et la voix insiste encore jusqu'à ce que la personne endormie réussisse à se lever. Trainant d'un pas lourd, une jeune femme descend les escaliers. De taille moyenne, les cheveux châtains en bataille. Ses yeux verts, peu communs au japon, trahissent de la fatigue.

Sa tête lui semble peser une tonne face à son petit déjeuner. Elle grimace en voyant le Natto que l'employée de la maison lui a préparé. Cette dernière ne cesse de lui faire la morale, mais habituées à ses sermons, les oreilles de la jeune femme sont devenues hermétiques aux remontrances.

Ce n'est qu'au bout de longues minutes qu'elle est enfin prête à sortir. Uniforme fraichement repassé, sac déjà fait : il y a des avantages à disposer d'une domestique. Elle regarde sa montre et blêmit en se souvenant qu'elle n'a plus de chauffeur depuis deux jours pour l'emmener au lycée. Elle sort en claquant la porte et démarre une formidable course à travers le quartier résidentiel.

Au bout de son parcours, elle voit le bus partir loin, très loin, sans elle.

La jeune femme préfère jeter la responsabilité sur le manque de précision des bus vis-à-vis de leurs horaires, plutôt que de remettre en question sa motivation à aller étudier.

C'est donc en retard qu'elle dépasse, en soupirant, le portail de son lycée. Après une énième remontrance du surveillant, elle avance sans grande conviction dans le hall en se demandant si Mr Watanabe l'excusera. Ce professeur de japonais est habitué à ses retards et lui pardonne facilement, mais elle ignore si c'est par bienveillance ou parce que ses parents sont de gros donateurs de l'établissement.

Une silhouette apparaît derrière elle et la surprend.

— Yumi. En retard une fois de plus. Dis un jeune homme d'une voix moqueuse.

La jeune femme sursaute avant de reconnaitre son ami, Sato. Assez grand, son visage androgyne esquisse un large sourire avant de prendre un air des plus sérieux, crispant ses longs sourcils dans une expression qui rappelle à Yumi sa domestique.

— Tu vas encore te faire incendier. Si ce n'est pas déjà fait par le surveillant.

Elle hausse les épaules et ne dit rien, marchant en direction de la classe. Sato reconnait là l'humeur boudeuse du lundi matin de son amie.

— Avant que tu ne sois surprise : on a un nouveau professeur. Mr Watanabe a eu un accident ce week-end. Il va bien ! dit-il en voyant la mine inquiète de Yumi. Juste une fracture. Le remplaçant ne te connaît pas encore, il m'a envoyé te chercher, car on sait que le surveillant peut parfois faire un peu de zèle.

La jeune femme soupire, elle espère que le suppléant est aussi laxiste que Mr Watanabe. À quoi ressemble-t-il ? Elle imagine un vieux rochon, car c'est souvent le cas des remplaçants : des professeurs proches de la retraite, mais qui n'ont pas réussi à se trouver une place dans un établissement. Ou bien l'extrême opposé : des juniors qui font leurs premières armes et veulent montrer qu'ils sont capables d'être autoritaires.

Vivre son Printemps [Romance - amour interdit]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant