La neige au goût de sel

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Sato referme la bouche. La dentiste affiche une mine satisfaite. Mais lui sort du centre contrarié. À 18 ans il lui manque déjà une molaire et doit éviter de se prendre une balle de tennis perdue dans la mâchoire pendant un temps. Sur le chemin de sa maison il repense à ce type. Comment réagir s'il le recroise un jour ? Il ne sait même pas s'ils se reconnaîtront tellement chacun était éméché ce soir-là. Et si ça arrive, le cogner à son tour ? Non, ce n'est pas le genre de Sato. Il finit par se dire que cette mésaventure est loin maintenant, demain il peut enfin revenir en cours. En attendant, ce soir il dispute sa demi-finale et finale.

Il espère qu'elle sera là.

Sato est devant chez lui quand il repense encore à ce qu'il a fait. Honteux de son geste, il s'avoue toutefois qu'il a été guidé par une envie retenue depuis trop longtemps. Dans sa chambre, il prépare son sac pour rejoindre son club. Il y pense, à chaque geste qu'il fait. Quand il s'est collé à elle toute la soirée, quand il lui a tiré le bras, quand il lui a hurlé dessus, quand il l'a forcé à l'embrasser. C'est trop se dit-il en soupirant.

Yumi n'est pas une fille aussi fragile qu'elle en a l'air, mais éduquée comme l'a été durant toute son enfance, elle a vécu cette soirée comme un enfer pervers. Il le sait bien. Yumi est sa princesse, elle est plutôt jolie et ensemble ils apprécient les choses simples. Tient, depuis quand n'ont-ils pas justement profité de choses simples juste tous les deux ? Avec son planning infernal, Yumi devient de moins en moins accessible.

Il se rappelle de ce jour où ils sont devenus amis. Il jouait au tennis au collège, et elle l'observait intensément. Quand il s'était approché d'elle, elle tenait un carnet à dessin et avait tiré son portrait dans plusieurs poses sportives différentes. Son talent l'avait impressionné, et encore aujourd'hui. Mais depuis quand n'a-t-il pas eu le temps de voir ses dessins ensemble dans leur café préféré ?

Sato sort de chez lui, sa mère l'attend dans la voiture. Durant le trajet il l'écoute vaguement. Son fils ne lui a pas dit la vérité sur la soirée. Trop honteux de ce qu'il a fait, il a préféré mentir en disant qu'il est tombé, quelque chose dans ce goût-là. Il a raconté les mêmes salades à ses amis de la soirée, mais il sait que ces derniers vont lui demander comment va sa "petite amie officielle". Il soupire "quel con je suis" pense-t-il.

Durant tout le reste de l'après-midi Sato et ses camarades de clubs s'échauffent. Révisant leurs stratégies, mouvements, points forts et points faibles. Puis, en début de soirée les gradins se remplissent doucement. Principalement des proches et étudiants venus assister à ce tournois "inter-lycées de Tokyo", quelques curieux ensuite, est de rares professionnels venus trouver de futurs talents. Mais elle n'est pas là. La seule qu'il veut voir.

Les matchs débutent, Sato est ailleurs, ne donne pas le meilleur de lui-même mais parvient à gagner les demi-finales de quelques points seulement. Il n'est pas dans la même humeur que ses camarades et fans surexcités. Il lève les yeux vers les gradins et ne voit nulle part le regard émeraude de celle qu'il aime. Son coach le prend à part, et lui parle, le sermonne sur son attitude. Le jeune homme n'écoute que d'une oreille. Quand il arrive sur le terrain pour disputer la finale, Sato réfléchit. En face de lui, un garçon plus grand que lui, brun. Il ferme les yeux, et quand il les rouvre il plaque sur ce garçon toute sa rancœur.

Sato frappe, frappe plus fort la balle, y mettant tout son dégoût de lui-même mais aussi sa colère contre cet individu qui lui a cassé une dent. Une autre frappe aussi contre Mr Kiritani, car il a détesté voir Yumi rougir à son odeur, de la voir dessiner son portrait en cours de Japonais. La jalousie le saisit avec rage et lui donne alors une énergie extraordinaire que son adversaire ne peut combattre.

Lorsque ses camarades foncent sur lui pour le porter, victorieux, et que les gradins hurlent, Sato ne réalise pas qu'il a gagné. Le voile rouge de la colère se retire peu à peu de son esprit. Sato cherche du regard Yumi autour de lui, en vain, quand il croit voir une jeune femme lui ressemblant quitter les gradins. Il abandonne soudainement ses supporteurs, ces derniers le regardent courir vers la sortie encore essoufflée de son match. Dehors il voit cette jeune fille qui marche sous des flocons de neiges timides. Il lui attrape le bras, délicatement cette fois. Mais quand elle se retourne, ce n'est pas Yumi. Sato est confus.

Vivre son Printemps [Romance - amour interdit]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant