20 | overassertive

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CLÉO

17:58

— Dans votre livre, le personnage principal, Alana, semble croire à de nombreuses reprises que tout est perdu pour elle. Est-ce un sentiment auquel vous avez déjà fait face ? Si oui, est-ce pour cette raison que vous avez voulu en parler dans Le complexe de l'obscurité ?

Tony Mirales marque une pause et affiche un air sérieux, comme s'il réfléchissait réellement à la question. Puis, il finit par secouer la tête et répondre avec un sourire éclatant :

— Non. Je suis quelqu'un d'optimiste dans la vie de tous les jours.

— Oh bon sang, sifflé-je tout bas en me prenant la tête entre les mains.

À ma droite, Sylvie semble hésiter entre fondre en larmes ou lui envoyer son stylo à la figure pour tenter de lui crever un œil. Aussi, elle grince des dents pendant un instant avant de claquer son cahier sur la table dans un bruit de papier qui surprend Tony. Puis, elle retire ses lunettes et les laisse pendre au bout de la chaînette autour de son cou avant de s'exclamer, visiblement exténuée:

— OK tout le monde, je crois qu'il est temps de prendre cinq minutes de pause.

Dieu merci.

À bout de nerfs, je fais crisser ma chaise sur le sol en lino et suis le premier à quitter la salle. Je traverse le couloir à la vitesse grand V et rejoins le hall du premier étage, où je me sers à la machine un verre d'eau que j'avale d'une traite. Tandis que je remplis une nouvelle fois mon gobelet, j'entends les talons de Sylvie cliqueter derrière moi.

— Bon sang, lâche-t-elle en arrivant. Il est...

— ... À chier, la coupé-je avant qu'elle n'ait le temps de terminer sa phrase. Nul, pitoyable, pathétique, lamentable.

Sylvie arque un sourcil.

— Je me serais contentée de mauvais, mais ça marche aussi. Dis donc, t'es pas auteur pour rien toi – les synonymes ça te connaît.

Je ne réponds pas, me contentant de serrer plus fort mon gobelet entre mes doigts, les yeux rivés sur le couloir. À l'autre bout de celui-ci, Tony est en train de pianoter sur l'écran de son portable, complètement décontracté. Ce mec est tellement con qu'il ne se rend même pas compte qu'il va sûrement foutre en l'air toute sa carrière.

— Je vais le tuer, grogné-je. Sérieusement, un de ces jours je vais lui envoyer ma main à pleine puissance dans la glotte.

Sylvie pousse un soupir, l'air de dire que j'en fais trop. Dans d'autres circonstances je serais d'accord avec elle mais là, c'est tout simplement trop pour moi. Dix heures dans une salle avec le roi des bouffons, c'est un coup à pousser même Gandhi au suicide.

— Calme-toi, rétorque alors mon éditrice. On va y arriver, il va bien finir par être prêt pour cette interview. C'est bien pour ça qu'on le fait répéter, d'ailleurs.

Je me masse les tempes, exaspéré.

— Il faut être réaliste : même dix ans ne suffiraient pas pour qu'il réussisse à parler correctement du bouquin. Sérieusement, parfois je me demande même s'il l'a lu en entier.

Sylvie grimace, ne répondant pas pour autant. Aussi, j'écarquille les yeux et lâche :

— Non, ne me dis pas que...

— Il l'a presque terminé ! le défend-t-elle en se mordillant les lèvres, visiblement mal à l'aise.

Pitié, que quelqu'un m'assassine ici et maintenant.

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