La serveuse [Bucky Barnes]

XIII.

Après ce soir là, les semaines passèrent et peu à peu, Bucky vivait à moitié chez Era. Certains soirs, il revenait dans son hôtel de pacotille mais ce n'était pas les mêmes soirées. Elles étaient moins amusantes, moins plaisantes. Mais Era aimait l'idée de lui manquer. Même séparés, ils échangeaient cependant tous les soirs. Quand ils étaient ensemble chez la jeune femme, ils discutaient -plus le temps passait, plus ils se parlaient, ce qui était source de bonheur chez la rousse - ou ils regardaient des films. Bucky avait une culture qui s'était arrêtée dans les années quarantes -ce que Era trouvait étonnant- alors cette dernière lui faisait voir tous les films qu'elle avait adoré, mais aussi les long métrages qu'elle avait détesté, tant ils étaient médiocres. Elle appréciait voir Bucky écarquiller ses yeux face aux retournements de situation ou bien s'exaspérer en voyant les choix douteux des scénaristes. Par exemple, voir un personnage qui correspondait à l'image qu'on se faisait d'un homme torturé, brisé, et presque d'un "bad boy" faisait lever les yeux à Bucky, avec une moue agacée. Le pire du pire avec ce genre de personnage était ce moment où celui ci frappait dans un mur, en s'agaçant auprès de la fille principale de l'histoire qui était en larmes, en grommelant même "oh tu ne me mérites pas". Era semblait être adoratrice des réactions de Bucky, alors c'était un plaisir de faire cela.

Toujours hantée par des visions de Tom, cependant, le désir de Era pour Bucky restait présent mais l'envie et le besoin de prendre son temps étaient plus forts. Certains soirs, tout pouvait déraper cependant, elle gardait le contrôle. Parfois, elle se sentait prête à l'embrasser jusqu'à ne plus sentir que le fourmillement affamé de ses lèvres, mais de temps en temps, c'était la peur de craquer qui revenait. La crainte de fondre en larmes, de tout brûler en même temps qu'elle hurlerait ses craintes.

Bucky la voyait parfois sauter des repas et s'enfermer dans les toilettes, avec des bruits étranges, qu'il n'arrivait pas à déterminer. Il ne savait pas ce qu'elle faisait, mais il ne voulait pas la brusquer, alors il ne posait pas de question. Il passait son temps à lui demander si elle allait bien, et elle répondait toujours "oui, tout va bien", avec ce petit sourire, qui était faux. Il le savait, il le sentait dans ses tripes de manière évidente. Mais qu'aurait il pu lui dire ?

Lui n'était pas mieux. Bucky passait ses nuits à se réveiller - tout le temps à trois heures quarante et une - en sueur, et avec le sentiment d'avoir crié toute la nuit et il regardait par la fenêtre, songeur. Les larmes qu'il laissait couler parfois voulaient tout dire. Era ne faisait rien non plus, mais il ne lui en voulait pas. Elle le regardait avec cet air soucieux, le serrant dans ses bras et embrassant son cou, quand elle voyait la peine sur son visage.

C'était comme une maison hantée, où deux âmes perdues à jamais erraient, en ne se voyant parfois pas. Deux fantômes qui criaient chacun leur démon, en hantant les murs de cette appartement. Cette situation ne pouvait pas durer, tout deux le savaient.

Et ce maigre équilibre se brisa un après midi, où Era et Bucky se promenaient en ville, main dans la main, comme le petit couple qu'ils étaient, amoureux et tellement inquiets de ne pas briser l'autre qu'ils ne parlaient pas de leurs cauchemars. La jeune femme examinait la devanture des boutiques et c'est alors qu'en face d'elle, elle reconnut quelqu'un.

Tom.

Elle serra si fort la main de Bucky qu'il cru qu'elle allait se casser.

- Era, tout va bien ? gémit il, douloureusement

Elle ne répondit pas, comme figée, glacée.

Et à fur et à mesure que l'homme s'avançait, elle se rendit compte que ce n'était pas Tom. C'était simplement un homme qui était comme lui, blond, grand, comme tant d'autres. A croire, pensa la jeune femme, que les monstres ne se différenciaient pas tant que cela des humains.

- Tout va bien, répondit elle, le coeur au bord des lèvres.