Chapitre 14

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Avec un grognement, Shun hissa le panier plein de cailloux sur son dos et redescendit le boyau étouffant jusqu'au chariot. Essoufflé, il versa dedans le contenu de son fardeau. Tellement de poussière voltigeait dans l'air qu'une épaisse couche grise recouvrait sa peau en sueur, lui donnant la sensation d'être recouvert de boue.

Un jeune garçon d'une dizaine d'années armé d'un seau lui tendit une louche d'eau qu'il accepta avec gratitude. Lorsqu'il eut fini de se désaltérer, l'homme de fer qui montait la garde non loin lui adressa un regard courroucé, signe qu'il estimait qu'il avait suffisamment perdu de temps.

Il repartit donc dans l'étroit tunnel, tenant négligemment son panier désormais vide. Il était tellement fatigué que ses bras tremblaient continuellement. Ses paupières étaient si lourdes et ses yeux si brûlants qu'il en avait mal. Parvenu à son poste, il se laissa tomber à genoux avec un soupir. Il s'assura qu'aucune des blessures de son dos ne s'était rouverte, les tâtonnant délicatement. Il sentait les croûtes s'attendrir sous ses doigts. Elles ne séchaient pas correctement à cause de la sueur qui coulait continuellement depuis ses épaules. Toutefois, au moins ne saignaient-elles plus à présent.

Il se remit à empiler les cailloux dans son panier. À sa droite, son voisin se releva et tenta de soulever le sien mais perdit l'équilibre sous le poids. Il dut se rattraper au mur pour ne pas tomber, s'écorchant la paume de la main au passage.

Shun l'aida à hisser son fardeau sur ses épaules et lui répondit d'un hochement de tête lorsque l'autre lui sourit en remerciement. Il le regarda s'éloigner d'une démarche titubante, ses longs cheveux noués en queue de cheval se balançant dans son dos. Leur couleur habituellement parme était à présent grise de poussière de roche.

Lorsqu'il s'agenouilla à nouveau, il sentit qu'on lui effleurait légèrement l'épaule et se retourna. Un autre de ses compagnons d'infortune lui fit un clin d'œil et, très discrètement, lui tendit quelque chose. Shun le remercia d'un sourire fugace et accepta la galette d'orge qui lui était offerte. Nourriture insipide mais au moins, cela remplissait un peu l'estomac.

Un brusque frisson de peur le secoua lorsqu'il entendit des pas dans son dos accompagné du cliquetis caractéristique du métal s'entrechoquant avant qu'un homme de fer ne surgisse. D'un coup d'oeil circulaire, il s'assura que le travail avançait puis s'empressa de faire demi-tour. Shun, de soulagement, ferma les yeux. S'il était venu quelques secondes plus tôt, il les aurait pris sur le fait. Et la punition pour avoir emporté de la nourriture dans la mine, c'était cinq coups de fouet.

Il se hâta d'engloutir la galette avant de se remettre à ramasser les cailloux. Quelques mètres devant lui se trouvaient ceux chargés de creuser dans la roche. Des Reshis particulièrement costauds qui, avant de se retrouver ici, combattaient dans les arènes pour le plaisir et la distraction des plus riches troyens.

Les femmes ou ceux qui, comme Shun, n'avaient pas la force d'attaquer la montagne à coup de burin des heures d'affilées, récoltaient le minerai ainsi extrait. Enfin, en dernier venaient les enfants. Ils allaient et venaient parmi les mineurs pour leur proposer une louche d'eau ou leur apporter les repas lorsque venait l'heure. Il se relayaient également afin de conduire les ânes tirant les chariots vers la sortie avant de revenir avec eux plusieurs minutes plus tard, les chariots vidés.

Celui que Shun avait aidé avec son panier revint, courbé, les yeux creusés. Il semblait à bout de force. Tout comme celui qui lui avait offert la galette. Contrairement à lui, chasseur et guerrier du Clan, ils n'avaient jamais dû travailler si dur de toute leur vie. Arrachés aux Terres de Resh alors qu'ils n'avaient que deux ou trois ans, ils avaient grandi ici, à Troie, destinés à devenir reproducteurs ou serviteurs du château royal ou des plus riches familles de la ville. Ils souffraient bien plus que lui de cette situation. Et pourtant, ils l'avaient aidé et soutenu comme s'il avait toujours été l'un des leurs, dès qu'il avait été intégré à leur équipe.

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