Chapitre 6

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Malgré les douleurs, Aiolia se remit en route avec ses camarades sans attendre. Il avait l'impression que tous ses muscles avaient été étirés, pliés puis étirés à nouveau. Tous, même les plus insignifiants et insoupçonnés, étaient malmenés par des crampes qui pulsaient sous sa peau. Comme si un feu couvait dans son corps, nourri par un vent capricieux.

Ce qui n'empêcha pas Ikki de le malmener pendant l'entraînement du soir. Il lui frappa les doigts tellement de fois avec sa lance qu'il serrait les dents à chaque fois qu'il les pliait. June, quant à elle, se montrait moins brutale lors des leçons de tir à l'arc mais tout aussi sévère. Elle n'hésitait pas à le frapper sur le crâne chaque fois qu'il se positionnait mal. Néanmoins, elle en vint rapidement à lui sourire et à le féliciter.

Il était habile avec cette arme. Il visait incroyablement rapidement et la force de ses bras lui permettait d'envoyer des projectiles très puissants sur une grande distance. Avec Ikki, les progrès étaient moins visibles. En fait, il avait l'impression de ne pas progresser du tout.

Le grand frère de Shun était tellement occupé à se venger sur lui de la relation qu'il entretenait avec son cadet qu'il semblait se foutre du reste. Pourtant, Aiolia avait cru que les choses s'étaient un peu améliorées avec lui, lorsqu'ils avaient discuté. Manifestement, il s'était fourvoyé.

La seule amélioration véritablement notable avait été accomplie par le cheval noir et blanc qui, de lui-même, les avait suivis. La jument que chevauchait l'homme de fer qui avait été frappé par la foudre s'était avérée, comparé à l'étalon, beaucoup plus calme et docile. La frayeur passée, elle s'était laissée attrapée et manipulée sans aucune rebuffade. L'autre l'avait tout naturellement imitée et se laissait à présent toucher lui aussi.

Néanmoins, Aiolia avait vite compris qu'il s'agissait davantage, de la part de la femelle, de résignation que de docilité. De vieilles cicatrices, trop nettes pour qu'il s'agisse de blessures de batailles, ornaient ses flancs et sa croupe. Elle avait de toute évidence été dressée à coups féroces. Aiolia en avait serré les mâchoires de colère, même si plus rien ne l'étonnait de la part des hommes de fer.

Il lui avait présenté un quartier de pomme, afin de faire gentiment sa connaissance, mais elle s'était contentée de baisser légèrement la tête, les yeux mi-clos – sans doute par crainte de recevoir un coup – et s'était immobilisée. Cela lui avait brisé le cœur. Elle semblait encore jeune toutefois, il n'était donc peut-être pas trop tard pour lui redonner confiance en l'être humain.

Cela faisait à présent deux jours qu'ils avaient quitté les Terres de Resh. Tous les trois étaient tendus et nerveux. C'était à peine s'ils se parlaient. Même l'air semblait avoir une odeur différente. Une odeur de fumée. De sang séché. Et de brutalité. L'atmosphère était lourde. Comme en attente de nouvelles violences.

Ils ne croisèrent personne. La frontière Reshie était encore trop proche. Il n'y avait même pas d'habitations. Simplement une vieille tour en pierre vers l'ouest, à la lisière de la forêt. Aiolia fut surpris de constater que Resha s'étendait jusque chez les hommes de fer. Il n'avait jamais pensé à cette éventualité. À présent qu'il y réfléchissait, il lui parut évident que la nature ne respectait pas les frontières délimitées par les hommes. Et c'était cette capacité à vivre hors du temps et des existences qui la rendait belle à ses yeux.

Le paysage lui-même était différent. L'herbe était ici verte et rase, le sol plus tendre. Sauf en un endroit : une ligne large, montant vers le nord, à la terre craquelée, sèche et caillouteuse. Ils se résignèrent à en suivre le tracé, après avoir réalisé que les traces de roues qu'ils suivaient avaient disparu. Peut-être les chariots avaient-ils suivi cette route. Aiolia l'espérait, en tout cas.

Cœur-de-TonnerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant