Le frère perdu - Leah Clearwater

Chapitre 7: S'apprivoiser

Mal était là, comme convenu. Occupant la même table qu'à notre dernière rencontre, il tenait fermement son téléphone entre les mains. Sourcils froncés, nez plissé, je pouvais facilement deviner qu'il était perdu dans le casse-tête qu'étaient les mots croisés. Quant à moi, mes préoccupations étaient toutes autres. Figée à quelques pas du bar, je me forçai à faire avancer mes jambes qui refusaient de bouger.

Une heure plus tôt, j'avais été à deux doigts de me défiler, apeurée d'être forcée de lui révéler mes mensonges. Mais c'est encore une fois poussée par mon avidité, comme revigorée par l'adrénaline que je m'étais réveillée. Dans le cas où la situation se retournerait contre moi, il me suffirait de m'excuser de lui avoir mentit, de lui assurer que j'avais fais ça de ma propre volonté, en voulant tout simplement protéger ma famille qui ne connaissait pas leur existence. J'espérai qu'il le comprendrait. Après tout, ce lien de protection l'unissait également aux siens.

Reprenant une certaine contenance, je me dirigeai alors vers la table qu'il occupait. Je tirai la chaise dans un grincement assourdissant avant de m'y asseoir et Mal me lorgna d'un regard profond. Son sourire juvénile qui creusa ses fossettes me fit perdre un instant la raison. Et c'est tout en gloussant tel un enfant qu'il concentra de nouveau son attention sur son jeu pour personnes âgées.

- On dit bonjour quand on est poli, dit-il en pianotant sur son téléphone.

Sa remarque m'irrita et fit cesser mon cœur de battre frénétiquement.

- L'impolitesse est partagée.

Lui arrachant son téléphone des mains, je vis sur l'écran qu'il était plongé en pleine partie de Sudoku.

- Encore un jeu pour pépé.

- Je te l'ai dis! J'ai des problèmes de mémoire!

Irrité, il récupéra son téléphone avant de le fourrer dans sa poche. Puis, c'est sans un mot qu'il s'empara de la carte des boissons alors que je m'interrogeais. Lors de notre dernière rencontre, je n'avais pas pris la peine de me questionner sur ce point, pensant simplement qu'il blaguait, ou me mentait pour me déstabiliser.

- Les loups peuvent vraiment avoir des problèmes de mémoire?

- Certains ont moins de chance que d'autres.

Je ne saurais dire si c'était à cause du ton qu'il avait employé, ou si c'était à cause de son sous-entendu me rappelant que je possédais également un corps atteint de dégénérescence, mais je fus prise d'un tremblement glaçant. Et contre toute attente, ce fut ce frisson proche de l'arctique qui me dérouta. Aussi étrange que paralysant, je ne le connaissais pas.

- Je n'aurais pas dû dire ça comme ça. Ça va? demanda-t-il.

D'un geste qui se voulait consolateur, Mal porta sa main sur la mienne. La chaleur qui s'en échappa me reconnecta à la réalité. Toujours prise au dépourvu, je récupérai l'usage de ma main et la posa sur mon ventre.

- Ça va, murmurai-je.

- Je ne voulais pas que tu te sentes visée. Je n'ai pas réfléchis.

Pouvait-on feindre la culpabilité? Son regard coupable me fit penser qu'il en était incapable.

- Tu veux boire quelque chose? proposa-t-il, décontenancé. C'est moi qui paye alors prends ce que tu veux.

Son repentir finit même par me persuader qu'il s'en voulait réellement.

- Un Mojito.

- Tu ne connais que les cocktails?

- Et toi? Tu ne connais que les boissons pour ados pré-pubères?!