Flambant neuf, le Royal Alberta Museum se fondait discrètement dans la masse avec ses allures modernes et épurées. Alors que certains employés terminaient leurs cigarettes avant de commencer à travailler, je fuyais ces cendriers ambulants en m'engouffrant par la porte de service. Comme chaque mercredi, premier jour de la semaine où le musée était ouvert au public, les employés s'activaient à ranger leurs affaires dans leurs casiers avant de se tenir bien droit devant les visiteurs. De mon côté, je prenais mon temps. Généralement, personne n'arrivait avant onze heures dans la boutique de souvenirs.
Armé d'un chiffon, Marshall nettoyait les petites vitrines enfermant bijoux et bibelots. De son éternel sourire, cet homme de la quarantaine me salua chaleureusement. Malgré sa peau blanche parsemée de tâches de rousseurs, il me rappelait souvent mon jeune frère, Seth. Contre toute attente, je m'étais malheureusement attachée à cet homme qui était devenu un ami sur qui je pouvais compter. Durant mes dix années d'errance, ne voulant pas m'attarder dans un endroit, je m'étais efforcée de ne pas créer de liens amoureux, et encore moins amicaux. Ça m'avait parut facile, jusqu'à ce que j'emménage ici il y a huit mois. Jamais je n'étais restée aussi longtemps dans une ville. Jamais je ne m'étais sentie à ma place dans une entreprise. Jusqu'à ce que j'arrive ici, à Edmonton, et Marshall y était pour beaucoup. Il était devenu un ami sur lequel je pouvais me reposer et je m'étais également attachée à ses enfants que je gardais parfois. Il était un rayon de soleil dans cette ville qui ne connaissait pas la chaleur.
Habituellement, le musée accueillait les élèves en excursion, mais l'année scolaire se terminant d'ici quelques semaines, nous nous occupions à ranger et à dresser un petit inventaire alors que les visiteurs se faisaient rares. Malgré le calme inhabituel, je ne m'ennuyais pas. Marshall comblait agréablement le silence en me racontant son week-end, et je me délectais d'un sentiment de plénitude agréable. Cette routine ne m'effrayait même pas et je n'avais pas encore songé à quitter cet endroit. Et pourtant, je savais qu'un jour où l'autre, un déclic me chuchoterait qu'il serait temps de partir.
Treize heures. Mon badge autour du cou, je me dirigeais vers la pointeuse en entendant les nombreux employés échanger autour de leurs déjeuners. Ces odeurs de nourriture réveillèrent pour de bon ma faim. Poulet frit. Pains. Fromages. Sauces. J'enviais chacun de leurs déjeuners. Lorsque je pris la direction du vestiaire, tâchant de ne pas courir pour me ruer jusque sur mon casier qui détenait ma boîte repas, une odeur m'interpella et me paralysa. Une odeur si familière, et pourtant inconnue. Une odeur puissante, et pourtant trop légère. Une odeur terreuse et résineuse, épicée, piquante et musquée, bien que partiellement camouflée par un parfum fleurit. C'était une odeur que je partageais avec mes frères, mais qui n'appartenait à aucun d'eux. Étais-ce possible? Une de mes sœur se trouvait-elle ici? Derrière cette porte? Et après toutes ces années de recherches, pourquoi un frisson me paralysait-il? Avais-je peur? N'en revenais-je pas? Le cœur battant, j'ouvris les vestiaires d'une main tremblante. J'avançais d'un pas peu assuré et vis une jeune femme à la peau rousse fouiller dans son casier. D'où viens-tu? De quelle ville? De quelle réserve? Pourquoi ne t'avais-je jamais croisée? J'avais des milliers de questions à lui poser, mais je me contentais de l'analyser. D'un pas prudent, je m'avançais vers elle alors qu'elle attrapait un sac qui dégageait de bonnes odeurs de nourriture. Elle était plutôt grande et élancée, à la longue chevelure noire et brillante. Après avoir refermé son casier, elle me fit face et un sourire timide se dessina sur son visage de poupée. C'est là que je compris. Son regard n'était pas étonné et son sourire se voulait poli, adressé seulement à une collègue qui restait plantée là, devant-elle. Elle n'était pas une louve. Mon odeur lui échappait. Était-elle une imprégnée? Une petite amie? Une sœur? Qui était le loup qu'elle côtoyait? Était-elle au courant de sa véritable identité? Prudence, Leah. Prudence. Et surtout, patience ...
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Le frère perdu - Leah Clearwater
Hayran KurguDerrière la façade d'un sourire fané, Leah était sortie de l'obscurité qui la rongeait. Agrippée par des masses d'ombres, chaque jour sans lui avait été une épreuve impossible à surmonter ... jusqu'à ce que la lumière, bien que diffuse, ne l'aide à...