Chapitre 20: Un futur incertain

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Un an plus tard.

Je n'avais jamais été à l'aise dans un avion. Pourtant, je m'étais confortablement installée à côté du hublot, sortant même de mon sac un chewing-gum que je mastiquai déjà afin d'anticiper les acouphènes. Le décollage avait cependant été brutal pour mes oreilles qui ne toléraient pas les variations de pression atmosphériques. Alors, je le broyais avec hargne, j'avalais ma salive, je bâillais, je me pinçais le nez en expirant doucement, répétant ce même schéma une bonne dizaine de fois sous le regard moqueur des adolescents installés à mes côtés. La torture passée, j'admirai la vue aérienne d'Edmonton dont les hauts buildings paraissaient être si insignifiants tout en tâchant d'oublier que cette épreuve se répéterait dans à peine sept heures. Si j'anticipais l'atterrissage, j'essayais de ne pas trop penser à l'endroit où j'allais me poser, préférant me remémorer ces derniers mois.

Il m'avait été inconcevable de tracasser mes frères encore une fois. Je n'avais pas tardé à réunir mes maigres possessions et avais décampé avant que les supplications de Seth ne m'atteignent et ne me fassent changer d'avis. Sans avoir de destination précise en tête, mes yeux avaient parcouru le tableau d'affichage des départs à l'aéroport. Guidée par mon instinct, j'avais pris un billet à destination d'Edmonton. Si certains avaient pensé que mon retour dans cette ville allait me torturer, tant elle regorgeait de souvenirs, j'avais en réalité souhaité y retrouver le calme et la stabilité qu'elle m'avait apportée.

Marshall m'avait accueilli chez lui les premières semaines. Son foyer chaleureux avait été une source de bonne humeur qui m'avait permis de vivre dans la réalité, bien loin des souvenirs étouffants. Ne souhaitant pas vivre indéfiniment à ses crochets, j'avais postulé dans divers bars ou boutiques. Si quelqu'un m'avait dit un jour que je travaillerais dans une grande enseigne de lingerie fine, je lui aurais ris au nez. Et pourtant, j'avais accepté. Grâce à cet emploi, Janelle ne m'avait pas longtemps reproché mon manque de nouvelles. Elle profitait toujours des réductions dont je bénéficiais. Cette lingerie à prix réduit me permettait même de la canaliser dès qu'elle abordait l'existence de Mal. "Tu n'aurais pas du le laisser partir" avait été sa remarque fétiche durant de nombreux mois. Ses traits accentuant ses reproches se dissipaient en une moue désolée (et adorable, il fallait bien l'admettre), dès que je la menaçais de ne plus rien lui laisser à bas coûts.

Plus le temps passait, moins ils me rappelaient l'existence de Mal. Ils avaient même fini par se plier à mon souhait en ne l'évoquant plus du tout. Pourtant, je pensais toujours à lui et à son humour désastreux qui m'avait tant fait sourire. Je ne parvenais pas à oublier son visage aux expressions si lisibles, ni le son de sa voix qui variait si facilement en fonction de ses humeurs. Sa présence avait été rassurante et chaleureuse malgré le but de notre rencontre. Son départ avait donc naturellement laissé un vide dans ma vie et la cicatrice, toujours béante, refusait de se dissiper. Mon bon vieil ami, le déni, n'était même pas parvenu à me faire avancer. Car je n'avais plus rien à trouver. Plus aucun but. Plus rien. Même ma solitude m'avait abandonnée, préférant me laisser bien entourée en vivant une routine agréable malgré la fadeur qui ternissait ma vie.

L'annonce du commandant de bord qui annonça l'atterrissage réveilla mon angoisse, si bien qu'au lieu de me pincer le nez et de bailler, je contemplai la ville d'Albuquerque en subissant un atroce acouphène. Mais je n'étais plus apte à penser, ce qui était plutôt une bonne chose puisque je n'avais même pas envisagé de rebrousser chemin. Une fois installée dans le bus, j'avais alors consacré les deux heures de trajet à me préparer mentalement. Personne ne m'attendait. Personne ne savait où je me rendais.

Même si Mal m'avait fait comprendre que sa vie et ses décisions ne me regardaient pas, j'avais plusieurs fois tenté de le retrouver. Sachant qu'il avait interdit à ses frères de me donner la moindre indication d'où il se trouvait, et bien trop occupée à soigner mon cœur brisé, je n'avais au départ pas cherché à renouer contact. Mais les jours avaient passé, puis les semaines et les mois, sans que je parvienne à effacer son visage de ma mémoire. Lorsque je mutais, je le suppliais presque de me laisser entendre le son de sa voix, mais seul le silence me répondait douloureusement. Et même si Janelle était une source fiable qui aurait pu m'indiquer où il se trouvait, je ne voulais pas la mettre dans l'embarras, ni même attirer les foudres sur Will et sa meute qui m'avaient accueilli à bras ouverts, m'aidant même à panser mes plaies en me faisant sourire à la moindre petite occasion. C'est pourquoi, je l'avais recherché de mon côté, discrètement, en les laissant penser que la vie que je menais me convenait. Mais Mal restait introuvable et seul son acte de naissance me prouvait qu'il existait réellement dans ce monde.

Le frère perdu - Leah ClearwaterOù les histoires vivent. Découvrez maintenant