16 - Melinda

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« Toute vérité franchit trois étapes. D'abord, elle est ridiculisée. Ensuite, elle subit une forte opposition. Puis, elle est considérée comme ayant toujours été une évidence. » Arthur SCHOPENHAUER


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Melinda


Nous roulons à travers la ville. La nuit tombe déjà à l'horizon et les lumières qui scintillent sont fascinantes. Les couleurs extraordinaires que dessine le ciel me transportent vers les nuages, où j'aime puiser force et sérénité. Les nuages sont de puissants facteurs de changement. Ils changent d'endroit et découvrent le monde. Ils sont solitaires, et pleurent au travers de la pluie, grondent au travers de l'orage, s'expriment de toute leur puissance. J'aimerais être un nuage pour être forte et puissante, l'être suffisamment pour affronter ce qui m'attend encore. Devrais-je passer ma vie à me battre ? À lutter pour demander une certaine liberté et vivre ma vie comme je l'entends ?

Une famille marche sur le trottoir et attire mon attention. Le père porte sa petite fille et sa femme l'entoure de ses bras. Ils ont l'air si heureux, si proches. Elle les regarde avec tellement d'amour et de fierté que l'émotion me gagne. Ma mère m'a donné tout l'amour qu'il est possible de donner à son enfant, mais j'aurais aimé voir cette fierté dans le regard de mon père. Il m'a toujours ignorée et rejetée comme une vulgaire paire de chaussures usagées ne servant à rien. Si je transgressais les règles, il me sermonnait. Si je m'éloignais de lui, il me ramenait de force. Il ne supporte pas de perdre le contrôle, tout simplement. Pourquoi a-t-il besoin de cette emprise sur moi ?

Depuis mon accident, il est devenu plus difficile à comprendre et à supporter. Il est manipulateur, se servant de mes faiblesses pour me provoquer et me jeter à terre, m'empêchant de me relever au lieu de me tendre la main afin que je puisse me redresser. N'est-ce pas cela le rôle d'un père ? Pas pour le mien. Je ne le laisserai plus jamais m'atteindre pour me faire du mal, comme me droguer avec ces médicaments. Un véritable traumatisme psychologique dont la limite a été franchie. Je ne lui ferai plus jamais confiance.

Emma me prend la main, me sortant de mes pensées, et me demande :

— Comment te sens-tu ? Veux-tu m'en parler ?

— Non, Emma, pas pour le moment, dis-je d'une voix à peine audible et remplie de honte à l'égard de ma nouvelle amie.

Comment fait-elle pour être encore auprès de moi, à me soutenir et ne pas avoir pris ses jambes à son cou et s'enfuir ? Ce doit être cela l'amitié, la vraie... On dit qu'on ne choisit pas sa famille, mais que l'on choisit ses amis, et je pense en avoir trouvé une extraordinaire... C'est beaucoup trop frais, je n'ai pas le courage d'en parler. Le faire serait me mettre face à cette terrible réalité. Tout est si compliqué et pourquoi est-il venu tout gâcher ? Merde !

— Très bien, je comprends. Je vais juste poser ma tête ici, contre ton épaule et te tenir la main, me dit-elle en se rapprochant et se blottissant contre moi, telle une enfant en manque de tendresse.

Mes yeux restent rivés à travers la vitre contre laquelle je suis accoudée. Le doux contact de mon amie, ce geste si insignifiant pour elle, me procure un certain apaisement et atténue légèrement toute cette souffrance que mon père m'a, encore une fois, infligée. J'étais enfin prête et décidée à avancer, me construire une carrière professionnelle, me faire de nouveaux amis et me rapprocher d'Aïden. Il est entré dans ma vie, telle une tornade balayant tout sur son passage. Me voilà revenue au point de départ, et les forces qui étaient nées en moi s'amenuisent petit à petit, à chaque kilomètre qui me ramène à mon hôtel.

FOREVER 1 : Souviens-toiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant