La Guerre Des Clans - Cycle Boréal Livre I - Nuit D'Orage

Chapitre 6

UNE PETITE BRISE LÉCHAIT le pelage de Nuage Boréal. Une belle journée s'annonçait et la saison des feuilles nouvelles apportait son lot de gibier et de chaleur. Plume Brune était parti chercher Nuage de Boréal tôt dans la matinée pour une séance d'entraînement de chasse. Ces derniers jours, ils avaient surtout appris le code du guerrier, le territoire, et des mesures de défenses rudimentaires.
« D'habitude on apprend la chasse en premier mais vu les circonstances, vous allez d'abord apprendre à vous défendre », avait dit Patte Grise. Mais il était enfin temps d'apprendre à chasser.
Plume Brune n'avait pas gagné en empathie depuis le temps. Les évènements des jours précédents avec Douce Pluie n'avaient guère aidé, mais au moins Nuage Boréal comprenait mieux pourquoi. Nuage Marin et son mentor Patte Grise étaient quant à eux allés sur un autre chemin pour faciliter la trouvaille de gibier. Le Clan du Vent se nourrissait surtout de lapin et de lièvres, mais il y avait aussi beaucoup de petits rongeurs qui filaient dans la lande. Plume Brune amena son apprenti près d'une bruyère où Nuage Boréal ne tarda pas à sentir des odeurs de souris.
« Bien. Écoute-moi car je ne le répéterai pas », commença son mentor. Il indiqua la marche à suivre à son élève avant de le laisser faire. Nuage Boréal se plaqua au sol et avança à pas feutrés pour se rapprocher le plus possible du rongeur. Il fit attention à ne pas marcher sur une brindille pour ne pas trahir sa présence et respira lentement. Puis il sauta d'un coup, mais pas assez loin et la souris détala, se cachant dans les hautes herbes. Nuage Boréal l'avait ratée !
« Il faudra que tu apprennes à mesurer tes sauts », se contenta de commenter Plume Brune avant de changer de direction. Tu aurais pu m'avertir avant ronchonna le jeune félin.
La prochaine fût la bonne : sa première vraie prise ! Un gros mulot bien dodu, attrapé avec cette fois ci, un saut à bonne distance qui avait même étonné Plume Brune sur le moment. Il n'oublia pas de remercier le Clan des Étoiles : chaque vie prise devait être honorée, puis il l'enterra pour la récupérer plus tard tandis qu'ils continuèrent de chasser toute la matinée. Ils rentrèrent en même temps que Patte Grise et Nuage Marin, eux aussi la gueule pleine de gibier.
« C'est fantastique », complimenta Fleur de Rose. L'ancienne était sortie de son antre pour profiter du soleil. « Ces apprentis sont déjà de bons chasseurs ! » Nuage Boréal ne put cacher sa fierté et félicita sa sœur. Après avoir vérifié que Pelage de Blé et les anciens avaient mangé, ils se prit une souris pour lui et commença à la dévorer en compagnie de sa sœur. Alors qu'ils mangeaient, Patte Grise s'approcha :
« Bon travail ce matin. Cet après-midi consacrez-vous aux tâches des apprentis : occupez-vous des anciens et des litières puis reposez-vous. Demain nous... »
Elle fût interrompue par la patrouille de midi qui arriva d'un pas pressé. Elle était menée par Vive-Queue et son apprenti Nuage de Frêne, suivi de Pelage de Sapin.
« Patte Grise, miaula le vétéran essoufflé, le Clan de l'Ombre a chassé sur notre territoire. Il y a des restes de gibier, ils n'ont même pas pris la peine de le cacher. Ils ont même marqué leur territoire un peu partout. »
La lieutenante feula de rage.
« Comment ?! Il y a longtemps ?
— Vu les odeurs, ça devait être cette nuit », répondit Pelage de Sapin. Comme c'était sans doute la meilleure pisteuse du clan, personne ne contesta son estimation.
« Ces rats ! Ils n'en ont même pas besoin j'en suis certaine. C'est uniquement de la provocation.
— Il faut multiplier les patrouilles ! Qu'attends-tu Patte Grise ? » lança Plume Brune qui n'avait perdu aucune miette de l'histoire. Nuage Boréal était étonné de cette critique directe contre sa lieutenante.
« On pourrait, mais nous sommes peu nombreux, nous ne pouvons de toute façon pas quadriller le territoire à longueur de journée, répondit-elle.
— Je suis d'accord. »
Étoile d'Ouragan marcha lentement depuis son antre jusqu'au groupe de félins.
« S'ils n'ont pas faim, c'est que c'est justement leur objectif. Nous forcer à patrouiller toute la journée.
— Et nous fatiguer pour mieux nous battre », commenta Nuage Boréal. Les vétérans le regardaient avec surprise, comme s'il n'avait pas le droit de parler. Alors que Plume Brune allait sûrement le sermonner, Étoile d'Ouragan répondit rapidement.
« En effet, Nuage Boréal.
— Mais nous ne pouvons pas les laisser faire ! s'indigna Plume Brune.
— Bien sûr que non. Il faut donc changer d'approche, miaula le meneur.
— Dans ce cas, proposa Patte Grise, pourquoi pas une embuscade ? Ils ne doivent pas venir nombreux. La frontière avec les autres clans est plutôt sûre. Concentrons-nous avec une grosse patrouille près de la frontière du Clan de l'Ombre cette nuit. Dès qu'ils viendront, nous leur infligerons une correction qui les dissuadera !
— Ouais ! On va leur montrer à ces cervelles de souris ! s'exclama Pelage de Sapin.
— C'est une bonne idée, Patte Grise. Je te laisse choisir tes combattants. »
Le vieux meneur retourna vers son antre.
« Très bien. Plume Brune, Vive-Queue. Nous allons y aller et prendre nos apprentis avec nous. Ce sera une excellente leçon pour eux. Le risque devrait être minime si nous sommes nombreux et les prenons en embuscade. C'est l'occasion de mettre en pratique vos premières leçons et de voir un vrai combat. Je compte sur vous pour briefer vos apprentis avant de partir. Poil de Mulot tu viens aussi, nous allons avoir besoin d'un guerrier en plus. Pelage de Sapin et Griffe Blanche resteront ici garder le camp avec Étoile d'Ouragan.
— Ils sont trop jeunes, Patte Grise, râla Plume Brune. Ils risquent de nous ralentir.
— Pas du tout ! s'offusqua Nuage de Frêne. On sait se battre !
— C'est un risque mais je le pense mesuré, expliqua Patte Grise. Nous avons peu de guerriers, Plume Brune. Ils doivent apprendre rapidement. Rien ne vaut la pratique. C'est un ordre ! »
Elle s'éloigna avec Nuage Marin sans laisser le temps à Plume Brune de répondre. Elle avait visiblement mal digéré les remarques du guerrier. Enviait-il sa place de lieutenant ? se dit soudain Nuage Boréal. Plume Brune était un excellent guerrier, mais ses paroles et ses actions étaient souvent déroutantes. En voyant que Vive-Queue prenait lui aussi son apprenti à part, Nuage Boréal s'attendait à ce que Plume Brune vienne le voir pour lui donner quelques conseils, mais il n'en fit rien. Il alla directement dans le gîte des guerriers. Vexé, Nuage Boréal alla voir sa mère et son père. Poil de Mulot et Douce Pluie se faisaient leur toilette près de l'antre de la guérisseuse. Il se rappela alors qu'il avait appris que les guérisseurs ne devaient pas avoir de compagnons. Ni de chatons, d'ailleurs. Mais il est vrai que Douce Pluie était guerrière quand elle est tombée amoureuse. Depuis ils n'étaient plus vraiment compagnons, avec Poil de Mulot. Mais c'était tout comme. Il salua ses parents d'un miaulement, interrompant brièvement leur toilette.
« Alors, ce soir ce sera ton premier combat, dit Poil de Mulot. Te sens-tu prêt ?
— Tu seras prudent, n'est-ce pas ? » enchaîna sa mère. Ses yeux brillaient d'inquiétude. Nuage Boréal pressa son museau contre elle.
« Bien sûr que je serais prudent, et je me sens prêt ! De toute façon, il se peut qu'on ne trouve personne, ce soir.
— Cette saleté de Croc Noir. Il manigance tout depuis le début ! Mais que veux-t-il à la fin ! s'offusqua Poil de Mulot.
— Calme toi. Tu sais bien que ça ne sert à rien. Quand on est aveuglé par la haine, plus rien ne fait sens, miaula doucement Douce Pluie.
— Poil de Mulot, Plume Brune n'est pas de bonne humeur, mais peut-être que toi tu peux me donner quelques conseils pour ce soir ? demanda Nuage Boréal, dans l'espoir de changer le sujet. Les yeux de père brillaient de fierté.
— Bien sûr ! Avec grand plaisir ! Viens avec moi, allons sur le terrain de sable ! » s'exclama-t-il. Douce Pluie répondit qu'elle allait préparer des herbes pour ce soir et les laissa partir.

Les chats du clan s'entrainaient sur une petite combe de sable près du camp. Le sol duveteux permettait de limiter les blessures. Depuis des générations, les mentors y emmenaient leurs apprentis.
« Très bien. Ce soir nous allons tenter une embuscade... donc nous cacher pour les prendre par surprise. Le mieux c'est de les prendre de côté ou par derrière. On va voir ensemble la meilleure approche... »
Poil de Mulot demanda à Nuage Boréal de se mettre en haut d'un rocher qui surplombe la combe pendant que lui allait faire semblant de marcher rapidement. Il fallait que Nuage Boréal lui saute dessus et le fasse trébucher sans le manquer. Le jeune chat attendit que son père soit à sa hauteur pour se jeter sur lui, atterrissant sur son dos en tentant d'y mettre tout son poids. Mais le félin le rejeta sur le côté avec aise.
« Tu es encore petit et léger, fit-il remarquer. Un guerrier comme moi n'a aucun mal à te dégager. Les félins du Clan du Vent sont également naturellement plus musclés et élancés, tu dois utiliser ça à ton avantage. » Il donna quelques astuces à son fils avant de le prier de recommencer. Cette fois, Nuage Boréal sauta juste à côté de lui, avant de se glisser sous son ventre et de lui faire un croche-patte en imitant des griffures au ventre.
« Excellent ! Tu apprends très vite. Bien voyons encore une ou deux techniques avant de nous reposer. »
Ils restèrent un moment dans la combe, un moment merveilleux pour Nuage Boréal. Ça c'est un vrai mentor ! se dit-il. Plume Brune lui apprenait des choses certes et c'était un grand guerrier. Mais il n'avait aucune sympathie et aucune patience. C'était un entraînement bien différent de ce que Poil de Mulot proposait. Rassuré et de bonne humeur, Nuage Boréal fila dans la tanière des apprentis. Nuage Marin et Nuage de Frêne discutaient de leurs techniques et des derniers conseils prodigués par leurs mentors respectifs.
« Et toi, Nuage Boréal, demanda Nuage de Frêne, Plume Brune t'a montré une dernière astuce ?
— Non il est allé dormir...mais Poil de Mulot m'a montré une chose ou deux. »
Il ne voulait pas parler en mal de son mentor ni trop ébruiter que son père l'avait aidé. Déjà que Plume Brune le détestait...
« Essayons de dormir un peu, conseilla Nuage Marin. La nuit sera longue. »