03 - Jeux

30 2 0
                                    

La vibration dans sa poche fit pratiquement dégainer son téléphone à Colette. Depuis quelques mois, la jeune femme discutait régulièrement avec de nouveaux amis de jeu. Un peu bêtes parfois, mais surtout pleins d'entrain et de bonne humeur, elle avait toujours hâte de les retrouver.

Et puis il y avait Johannes. Ils se parlaient depuis moins longtemps mais plus... intensément.

Colette l'aimait autant qu'elle le détestait. Elle trouvait en lui l'interlocuteur parfait à base de références et de culture mais aussi de partage et de confidences. Mais elle détestait de plus en plus ne pas avoir de ses nouvelles. Et elle se détestait de se sentir si inquiète. De l'attendre en permanence. Comme si sa vie tournait désormais autour de lui, de ses horaires.

Elle avait horreur de ça. Mais ne pouvait s'en empêcher. Tout comme elle ne pouvait s'empêcher d'être légèrement déçue quand les messages n'étaient pas de lui, même quand ils étaient d'amis et d'amies pourtant très proches.

Elle répondit et rangea son téléphone. C'était la pause au travail et elle détestait ne vouloir que de ses nouvelles. Elle prit une profond inspiration avant de souffler doucement. La classe ne s'organiserait pas seule.

Elle passa dix minutes à s'activer avant que ses élèves ne reviennent en classe. Elle les observa s'installer avec affection dans l'espace de regroupement.
Ils avaient tous les âges entre 6 et 11 ans. Atteints de divers troubles, s'adapter à leurs besoins pour leur fournir des apprentissages de qualité était un défi de tous les instants qu'elle adorait essayer de relever.

Elle adorait particulièrement les rituels qu'ils avaient mis en place ensemble. C'était assez difficile pour elle d'être consistante dans ses habitudes mais le faire pour eux était une source inépuisable de dopamine.

Il commencèrent par s'asseoir en cercle, à même le sol, le dos bien droit, en tailleur. Ils joignirent leurs doigts en coupe devant leur ventre et les firent remonter en inspirant. Quand elles arrivèrent au niveau de leur poitrine, ils bloquèrent mains et respiration, avant de retourner la coupe, comme pour appuyer sur un bouton, et de souffler en baissant les mains.
Il recommencèrent le manège trois fois avant de se lever, les pieds joints, et de monter, tous droits, leurs bras au-dessus de leurs têtes en inspirant, puis de se pencher en avant en soufflant. Trois fois.
Et enfin trois tours de massage sur les tempes vers l'avant puis vers l'arrière.

L'après-midi fut consacré à l'art. Toujours l'art. La thérapie par l'art. Elle adorait ça. Arts visuels. Arts musicaux.

La fin de la journée, comme chaque jour de travail, la cueillie dans la joie d'avoir fait classe. Et en bon réflexe bien ancré, elle commença par sortir son téléphone.
Il y avait un message de Johannes. Tout bête mais suffisant pour la faire sourire jusqu'aux oreilles.

"Hello you, comment ça va ?"

Elle s'empressa de répondre avant d'emballer ses affaires et de rentrer chez elle.
Elle était parfaitement consciente qu'elle s'était déjà trop attachée. Qu'elle était à deux doigts de tomber amoureuse. Et que ce n'était pas très sain puisqu'ils ne s'étaient jamais vus...

Mais le pire c'était cette angoisse. Constante. Qu'il ne veuille plus lui parler. Qu'ils s'éloignent. Elle n'y pouvait rien, la dysphorie sensible au rejet se rappelait douloureusement à elle à chaque retard de réponse, à chaque aperçu de connexion sans nouvelles. Les pensées tournaient, en boucle, entêtantes.
Il ne m'apprécie pas vraiment.
Il en a assez de moi.
Je suis trop envahissante.
Je l'agace.

Sans preuve aucune de sa part que ce soit le cas. La perfidie de ce mal s'insinuait en elle de plus en plus à mesure que ses sentiments grandissaient.
De toute façon comment pourrait-il en être autrement ? Elle était tellement compliquée. Embêtante. Ennuyeuse. Et handicapée surtout...

ColetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant