39 - Doutes

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Cette nuit-là, Matthieu travaillait sur les docks. Il voyait bien que Colette n'était pas calmée, même si elle ne lui en voulait pas à proprement parler... Il détestait la laisser comme ça. Mais il n'avait pas le choix. Elle s'était installée dans le canapé, les yeux dans le vagues, sans suivre un traître mot de ce qu'il se passait à la télévision. Il déposa un baiser sur son crâne avant de partir, le cœur déchiré.

Colette le suivit des yeux jusqu'à ce que la porte se referme sur lui. Elle aurait aimé pouvoir dire quelque chose, faire quelque chose, n'importe quoi. Mais elle était comme paralysée. Un sentiment d'angoisse serrait son cœur et tordait son estomac.

De temps en temps, elle arrivait à se concentrer sur ce qu'elle regardait. Mais le plus souvent, ses pensées revenaient aux évènements de la plage.

Quelle stupidité vraiment ! S'énerver pour si peu de choses ! D'autant qu'elle était celle qui le lui avait dit en premier lieu !

Mais là n'était pas vraiment la question... Ce n'était pas la première fois qu'elle se comportait de la sorte. Il l'avait déjà pardonnée bien sûr, il ne lui en n'avait même pas voulu en fait. Mais elle-même s'en voulait.

Et puis, combien de temps encore supporterait-il ses sautes d'humeur ? Elle savait, elle, que c'était lié à ses cycles hormonaux, et les supportait tant bien que mal en se raccrochant au fait que c'était temporaire. Qu'il y aurait un mieux, et même une euphorie, dès ses règles passées. Certes, cela reviendrait, mais après tout, elle était bien obligée de vivre avec elle-même, non ?

Mais pas Matthieu. Il n'était obligé de rien. Et s'il décidait qu'il en avait assez ? S'il voulait qu'elle s'en aille ? Si elle devait partir et ne jamais le revoir ? Ne plus lui parler ? Ne plus se réveiller à ses côtés ? Ne plus échanger de plaisanteries, d'informations, de tendresse et d'affection ?

Elle sentait son coeur se serrer, sa respiration se raccourcir, les larmes monter. Douloureusement, elle força ses poumons à se remplir, puis à se vider lentement, dans un souffle tremblant. Elle recommença plusieurs fois.

Elle passa la soirée et une partie de la nuit le regard dans le vide, dans le canapé. Misty vint bien se caler entre ses jambes croisées en tailleur, mais même si elle fut temporairement apaisée par la présence de son amour adoré, l'angoisse revenait vite.

Elle réussit à se convaincre d'aller dormir, non sans vérifier plusieurs fois son téléphone. Pas de nouvelles de Matthieu... Il devait avoir du travail par-dessus la tête, à nouveau... Son patron le laissait peu tranquille en ce moment. Le travail affluait, de jour comme de nuit, quasiment sans interruption. Et Matthieu lui manquait d'autant plus qu'il n'avait pas une minute à lui pour lui envoyer un message...

Le cœur lourd, elle s'endormit pour se réveiller à chaque heure de la nuit qu'il lui restait. Son sommeil était agité, peuplé de cauchemars dont, heureusement, elle ne gardait plus le souvenir.

A sept heures, enfin, le SMS tant attendu arriva.

"Je vais pouvoir rentrer dans une heure, ne t'inquiète plus".

Le soulagement l'envahit, presque plus fort que les vagues d'angoisse qui l'avaient submergée toute la nuit. Les mains légèrement tremblantes, elle se leva, se prépara. C'étaient les vacances scolaires, aussi n'avait-elle pas besoin de travailler ce jour-là. Et c'était heureux, se dit-elle en apercevant ses traits tirés, ses yeux rougis par les larmes et sa peau plus pâle encore que d'habitude.

Alors qu'elle attendait son ami en se retenant de faire les cents pas, Colette se remit à penser à toutes ces inquiétudes qui l'avaient saisie depuis la veille. Alors qu'une légère nausée l'envahissait, l'idée qu'il ne savait même pas, qu'elle n'avait jamais expliqué ses cicatrices, ni sa santé, la frappa. Elle en eut le souffle coupé.

Bref instant de calme avant que l'angoisse ne revienne, plus forte encore.

Il ne savait pas. Il ne savait pas à quel point elle avait besoin de lui. De soins. D'attention. Et pas seulement à cause de la dysphorie... Il ne connaissait pas tout ce pan non glamour de sa vie - quoi qu'aucun pan de sa vie n'ait été glamour de toute façon.

Il ne connaissait pas les restrictions. L'impulsivité. Les contraintes. Les douleurs. Les nausées. Les problèmes digestifs. La fatigue. La fatigue surtout. Il ne savait pas. Comment avait-elle pu éviter de lui en parler depuis si longtemps ?

Sentant une migraine poindre, elle se pinça l'arrête du nez en grimaçant. Comment pouvait-elle avoir été aussi stupide pour lui cacher tout ça ? Comment allait-il réagir si elle le lui disait maintenant ? Elle devait être réaliste, elle n'avait réussi que par chance, ou miracle. Crohny, comme elle aimait appeler affectueusement sa maladie, savait parfaitement la rappeler à l'ordre et se montrer à son entourage proche pour peu qu'on fasse un minimum attention.

Et Matthieu était très attentif. C'était une des qualités qu'elle aimait le plus chez lui. Comme son empathie, sa patience, sa compréhension, sa tendresse, sa douceur, sa gentillesse...

Et si elle le dégoûtait ? Oui, cela ne collait pas vraiment avec ce qu'elle savait de lui. Il allait plus certainement essayer de comprendre et de la soutenir. Mais voilà, si elle le dégoûtait secrètement ? Et s'il s'éloignait ? Elle n'était pas sûre de pouvoir le supporter... De pouvoir être à nouveau heureuse et sereine si elle ne lui parlait plus chaque jour. Si elle ne voyait plus son sourire, n'entendait plus sa voix...

Ce fut le moment que choisit la porte d'entrée pour s'ouvrir. L'air las, Matthieu mit son manteau sur le portant, posa son sac et ôta ses chaussures. Puis il leva les yeux pour trouver une Colette au bord des larmes. Tout de suite inquiet, il tendit une main vers elle et la posa sur sa joue, essuyant une unique larme qui s'était échappée.

Colette fut frappée par l'inquiétude qui s'afficha dans les yeux de son ami dès qu'il la vit. La douceur et la chaleur de sa paume sur sa joue. Cette proximité qu'il rechercha immédiatement... Ce fut comme une révélation, un choc.

Sans pouvoir s'en empêcher, elle se mit à pleurer, comme ce jour-là, un an auparavant, sur la plage. Immédiatement, le jeune homme la prit dans ses bras, la berçant tendrement.

Les pleurs de la jeune femme redoublèrent alors que ses bras se refermaient autour de lui et que ses mains agrippaient son pull.

Il n'y avait plus qu'une seule pensée dans son esprit, qui tournait en boucle : il ne partira pas, tout dépend de toi.

ColetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant