17 - Matthieu

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Mathieu voyait Colette exactement comme elle était : joyeuse, sensible, aimante, bienveillante, anxieuse, jalouse, attentionnée, possessive repentie. Et surtout il voyait clairement les murs solides qu'elle avait construit. Des murs qui parfois avaient une brèche, mais elle se refermait toujours très vite.

Au début de leur amitié, elle lui avait beaucoup parlé de Johannes, elle avait déchargé son cœur. C'était à cette occasion qu'il avait vu la brèche, pourtant grande, se refermer derrière un sourire qui semblait dire "je suis là pour les autres mais personne vraiment pour moi, c'est la vie".
C'était aussi là qu'il avait eu l'impression de ne jamais pouvoir être à la hauteur.

Colette était cultivée et intelligente et il lui semblait, à mesure qu'il l'écoutait, qu'il n'atteindrait jamais ne serait-ce que la moitié du minimum requis pour stimuler son esprit et son intérêt. Comment était-il même possible de savoir autant de choses en vrac sans porter le nom d'un navigateur internet connu ?

Mais plus le temps passait plus il voyait sa constance dans son envie de lui parler. Qu'il lui était de plus en plus facile de s'ouvrir. Sans le savoir il creusait sa propre brèche, avec patience et douceur.

Alors que la mi-juillet était passée il prit conscience que Colette n'avait pas besoin de stimulation mentale, elle se débrouillait très bien toute seule pour cela. Non, alors qu'il s'accoudait au rebord de la piscine où elle s'était assise, posait sa tête dans ses bras et la regardait avec tendresse en laissant le reste de son corps flotter paresseusement, il comprit qu'elle avait besoin qu'on l'écoute. Qu'on l'écoute parler tout son soûle, déverser tout ce trop plein qui lui passait par la tête.
Et ça, il pouvait le faire, avec grand plaisir même.

Il savait aussi qu'elle avait besoin de curiosité. Qu'il lui pose toutes les questions qui lui venaient à l'esprit. Cela avait été difficile au début, socialement parlant la discrétion était plutôt de mise. Et puis, pour quelqu'un qui laissait si peu les autres approcher, elle était bien prompte à parler d'elle et à faire parler les autres.
Un paradoxe qu'il ne comprenait pas et avait accepté de ne jamais comprendre. C'était Colette, elle était comme ça. Il espérait juste atteindre son cœur un jour.

- Désolée je ne suis pas de très bonne compagnie... dit-elle soudain. Je parle beaucoup trop...

Matthieu se redressa et, d'une poussée sur ses bras, s'assit à côté d'elle au bord du bassin, tout près.

- Tu ne parles jamais trop, j'adore entendre ta voix. Et tu es d'excellente compagnie, ajouta-t-il en lui donnant un léger coup d'épaule.

Elle sourit mais il vit une hésitation dans son regard. Elle n'y croyait pas vraiment n'est-ce pas ? Qu'à cela ne tienne, il le lui prouverait.

- En parlant de voix, enchaîna-t-il, tu me chanterais quelque chose ?
- Ça sort d'où cette demande d'un coup ?
- Je t'ai entendue fredonner ce matin, c'était beau alors je voudrais bien t'entendre chanter, si tu es d'accord.

Colette hésitait. Mais elle adorait chanter. Et c'était Matthieu.

- Ne me juge pas.
- Jamais.
- Tu voudrais quoi comme chanson ?
- Qu'est-ce que tu aimes chanter ?

Elle prit le temps de réfléchir. Il la voyait hésiter. Il devinait que ce n'était pas le titre qui posait véritablement problème mais plutôt de savoir si elle allait oser. Mais il voyait aussi l'envie de chanter sur son visage. Elle était comme un livre ouvert qu'il prenait plaisir à lire mais qu'il peinait parfois à déchiffrer.

- Remember us this way de Lady Gaga ?
- Si tu veux, sourit-il.

Nouvelle hésitation. Puis elle se redressa, détendit ses bras, sa mâchoire. Inspira et se mit à chanter.
Ce n'était pas la voix d'une chanteuse professionnelle et il y avait parfois des fausses notes. Mais elle s'élevait, claire et forte, sans effort, dans l'air chaud de la fin de matinée.
Quand la chanson s'achèva, Matthieu applaudit avec force. Incroyable. Colette sourit en rougissant. Il avait réussit à enlever l'hésitation de son regard pour un instant, elle appréciait visiblement ses compliments.
Ce n'était pas gagné. Mais l'espoir de pouvoir aimer pleinement Colette un jour fleurissait doucement dans le cœur du jeune homme.

ColetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant