29 - Rentrée

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Pendant deux jours, Colette avait fait des allers-retours entre l'appartement et la classe pour mettre en place tout ce qu'elle avait préparé. Les ateliers, les jeux d'entraînement, les exercices, les classeurs, la bibliothèque... Et surtout aménager l'espace.
Le défi c'était de faire entrer et cohabiter dans un même espace douze élèves d'âges différents. Elle avait adoré y réfléchir. Et alors qu'elle installait les derniers matériels à une heure de l'arrivée des élèves, elle était fière de ce qu'elle avait fait.

La salle était immense. Une grande baie vitrée donnait sur une cour tout équipée en jeux pour les plus petits mais aussi en espaces pour les plus grands : un toboggan, un bac à sable, des jeux pour grimper, un terrain à la fois de football et de basket et une partie de cour avec des tables de bois sous un abri. Une grande clôture colorée et fermée surmontant un muret de parpaings les isolait du monde très efficacement.
Elle avait aménagé sa classe en pensant aux élèves qui préféraient rester à l'intérieur comme à ceux qui voulaient aller à l'extérieur. Elle avait trouvé un endroit parfait pour voir tout le monde.

Près des baies vitrées, elle avait installé un coin bibliothèque avec poufs, chaises longues en mousse et coussins sur un grand tapis qui se prolongeait au-delà du coin jusqu'à un endroit spécifiquement fait pour le repos. Les meubles de rangement bas formaient une séparation naturelle avec le reste de la classe, pour un peu d'intimité en toute sécurité.
Un autre endroit était réservé au matériel d'écriture, de peinture, bref au stockage. C'est là aussi qu'il y avait des cloisons mobiles basses qui permettraient aux groupes d'être parfois séparés. Une table ronde basse occupait un coin, et deux rangées de tables plus ou moins hautes, un autre, face à un tableau blanc. Enfin, à côté des bureaux, trois ordinateurs flambants neufs trônaient fièrement. Un autre tableau blanc occupait le mur face à la baie vitrée et le bureau de Colette se trouvait sur le côté, à l'opposé des ordinateurs. La porte de la classe s'ouvrait en coulissant juste derrière elle. Et entre le bureau et les ordinateurs, un grand tapis fait de morceaux de puzzle dans une matière moelleuse faisait office de lieu de regroupement.

La nervosité commençait à tordre l'estomac de la jeune femme. Ses deux aides étaient arrivées et l'avaient aidé à mettre en place la classe et les activités de la matinée. L'une d'elle allait d'abord récupérer les repas des enfants et les stocker dans un grand réfrigérateur. Pour douze élèves, il n'avait hélas pas été possible d'ouvrir une cantine. Mais une grande salle avec des tables adaptées en faisait office et chacun apportait ses repas, ou alors certains rentraient manger chez eux. Son rôle serait ensuite d'aider à la surveillance notamment pendant les récréations, permettant à Colette d'être déchargée en partie.
L'autre femme était une ATSEM qui gèrerait exclusivement les enfants de trois à six ans, en particulier pour les heures de sieste ou pour certains ateliers lorsque Colette travaillerait avec un autre groupe.

Le plus difficile avait été d'organiser un emploi du temps clair prenant en compte les besoins de chaque élève : les rythmes courts des plus jeunes et leur besoin d'attention, sans négliger les apprentissages des plus grands. Elle avait dû ruser en mettant en place des ateliers entre élèves des mêmes cycles afin que les plus avancés révisent des notions nécessaires à leurs futurs apprentissages tout en aidant les plus jeunes à les acquérir.

La matinée fut consacrée à des activités de langage, de découverte des autres et d'art. Il lui semblait impossible de ne pas prévoir une activité charnière, salissante et artistique pour lier ses élèves.
Il se trouvait que ses cloisons mobiles étaient bien ternes... Le problème fut vite résolu : blouses de peintures, couleurs sur les mains et grandes traces par les plus petits, âgés de trois, quatre et cinq ans. D'abord, les deux petits de trois ans avaient allègrement recouvert le bas des cloisons de couleurs hétéroclites en les frottant de leurs mains pleines de peinture en long, en large, en travers, en cercle et que savait-on d'autre. Puis le milieu avait été décoré par la petite fille de quatre ans qui s'était appliquée à déposer des marques de mains et de doigts multicolores. Enfin, le garçon de cinq ans s'était appliqué, du bout des doigt à tracer ponts, spirales, cercles, carrés, triangles et autres formes graphiques sur le haut des cloisons.
Alors qu'ils passaient sur des ateliers de manipulations adaptés à leurs besoins et compétences, les huit plus grands avaient à leur tour mis la main à la pâte : chacun avait dû styliser son prénom pour l'inscrire sur un côté d'une des six cloisons. Les trois plus âgés avaient pris en plus le prénom d'un des plus petits.
Ainsi, à la fin de la matinée, séchaient des cloisons mobiles multicolores dénommées Elodie, Claire, Greg, Jordan, Aurore, Cyril, Carole, Kathleen, Samy, Jean, Maya et Debby.

L'après-midi, plus calme puisque Cyril, Samy, Kathleen et Debby dormaient du sommeil des enfants qui avaient été bien occupés, et que Carole et Jordan, ses deux petits de six ans se reposaient une petite heure, commença par une activité mathématiques. Elodie et Claire, au niveau CE2, avaient pour défi d'expliquer l'addition sans retenue à Aurore, la CE1. Pendant ce temps, Colette entra directement dans le vif du sujet avec Greg, Jean et Maya : révisions du tableau de numération.
Puis atelier de lecture alors que les deux CP revenaient. Et enfin jeux d'écriture et de graphisme avec tout le monde.

A la fin de la journée, Colette était exténuée mais ravie. Il n'y avait pas eu de temps morts, les enfants avaient eu l'air heureux. Elle espérait que cela continuerait ainsi. Bien sûr, elle savait qu'il y aurait des jours sans, des jours moins paisibles. Mais elle était confiante et bouillonnait déjà d'idées d'amélioration. Tant et si bien qu'elle ne vit pas le temps passer alors que ses deux aides rentraient chez elle après l'avoir aidée à tout mettre en place pour le lendemain. Elle finit par entendre frapper à la porte : Matthieu, inquiet et impatient d'entendre parler de sa journée, était venue la chercher après son travail aux docks, cette fois-ci en journée.
Elle fut intarissable sur le chemin du retour, s'excusa une bonne centaine de fois de ne parler que de sa journée et de tout détailler encore, et encore, à son ami qui souriait un peu plus à chaque minute, comprenant qu'elle était plus que ravie d'être là.

Lorsqu'ils furent chez eux, il se porta volontaire pour préparer le repas, ce à quoi Colette ne protesta pas, bien que ce fut son tour. Elle se cala dans le canapé pour quelques minutes, envisageant d'aller prendre une douche tout de même. Lorsque Matthieu vint lui demander si elle préférait manger chaud ou froid, trois minutes plus tard, il la trouva endormie, Misty calée confortablement et ronronnant très fort sur sa poitrine.

Sans se formaliser, riant silencieusement au contraire, le jeune homme gratouilla Misty sous le menton, qui ronronna de plus belle, et recouvrit son amie à moitié avec le plaid qui trainait toujours sur le dossier du canapé.

ColetteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant