57e jour de la période du croissant de lune - 1338
Vospa [vozpɑ] = Souvenir
Le soleil poursuivait son ascension dans un ciel dépourvu de nuages lorsqu'Helja atteignait les environs d'une clairière vaste et solitaire, nichée au cœur de la forêt. Des fleurs jaunes parsemaient le sol, leurs pétales délicats inclinés dans une direction commune. Un fait anormal pour quiconque y ferait attention. Mais ici, personne ne remarquait jamais rien, ce qui avait le don d'agacer au plus haut point la sorcière. C'était à cause de la négligence des habitants de ce pays que les fantômes proliféraient autant. Et à chaque fois, ils venaient faire appel à elle pour régler les problèmes que leur manque de jugeote avait engendrés.
La jeune femme descendit de son cheval puis le tira par les rênes, marchant doucement dans ce champ flavescent. Le pendentif autour de son cou se mit à chauffer et luire d'une magnifique couleur émeraude. L'éclat lui brouilla la vue un instant et la seconde qui suivit, une incroyable maison biscornue surgit.
La bâtisse, imposante, s'élevait majestueusement sur trois étages. Fièrement dressée, elle arborait avec élégance quatre cheminées, chacune possédant sa propre singularité et tel un jeu de hasard, les fenêtres de tailles variées s'agençaient sans logique apparente. Au sommet du toit de chaume, une girouette grotesque prenait place. Elle ressemblait à un être replet aux ailes déchirées et aux yeux démesurément grands, affublé d'une flèche que la brise matinale semblait avoir renoncé à faire tourner.
Tout autour, un jardin luxuriant s'épanouissait et insufflait une chaleur apaisante. Un foisonnement végétal impressionnant prospérait, où certaines fleurs fumaient, d'autres crachaient sur les abeilles, quand d'autres encore métamorphosaient leurs feuilles en de minuscules papillons étincelants.
Helja guida son cheval jusqu'à une rambarde, l'attacha solidement, puis attrapa de quoi le nourrir. Elle s'approcha ensuite du vieux puits en pierre et se pencha prudemment au-dessus de son bord sombre. À l'intérieur, une jeune fille au corps nu et aux cheveux gras, de grosses taches rouges marquant son cou, tournait sur elle-même avec une incroyable lenteur. Brusquement, elle ressortit beaucoup plus floue puis elle se volatilisa et laissa place à un vieillard éventré, la barbe plus imposante que ses bras, des lunettes de travers, et un regard blanc porté vers les nuages. La vision de plusieurs spectres se succéda sans jamais s'arrêter.
— Désolée les amis, pas de nouveau compagnon pour vous aujourd'hui, lança la sorcière avant de s'écarter.
Tous les morts récupérés par Helja finissaient ici. Une ancienne sorcière avait enchanté ce lieu pour y entasser une infinité d'ossements et empêcher tout esprit de s'en échapper. Le paradis et l'enfer constituaient le plus grand mythe inventé par le sanctuaire pour que tous les habitants suivent aveuglément leurs sermons, rien de plus. À la fin, chacun apparaissait comme de pâles souvenirs du passé, errant bêtement dans le cimetière où il était enterré. Ou il se retrouvait là, coincé pour l'éternité dans ce misérable puits.
La porte d'entrée de la maison donnait directement accès à la cuisine. Une table en bois trônait en plein milieu, entourée d'étagères chargées de bocaux. Sur les étiquettes, on pouvait lire « foie de vierge » ou encore « yeux de serpents » juste aux côtés d'ingrédients plus traditionnels tel que la farine ou le riz. Plusieurs toiles représentant uniquement des femmes décoraient la pièce.
Helja accrocha son manteau puis examina le calendrier suspendu près de la fenêtre. Elle identifia les quatre cercles imbriqués les uns dans les autres, chacun symbolisant une période différente et chacun composé de quatre-vingt-onze jours. La période de l'étoile, la période du soleil, la période du croissant de lune et pour finir, la période de la lune.
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Sorcière I : Le livre de la vengeance
FantasyIl est bien difficile d'envisager l'avenir quand le passé s'enchevêtre au présent, même pour Helja, la sorcière la plus puissante du pays. Mais le jour où le roi l'engage pour un contrat des plus banals, tout son univers se retrouve irrémédiablement...