Chapitre 13 - Les mouches c'est mieux

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Une ombre aux détails nébuleux jaillit au-dessus de lui. Les grandes ailes planantes ; menaçantes dans les airs semblaient prêtes à se refermer autour de son corps.

L'homme aux cheveux d'argent avait disparu. L'enfant aussi.

Les premières notes se faufilèrent doucement, telles les dernières gouttes d'eau tombant sur un toit après un soir de gros orage. Elles se firent pourtant plus fortes et claires, tissant une symphonie réconfortantes enveloppant son esprit.

Prêtant à un ensemble assez chaotique de chants sauvages. Instinctifs. L'esprit d'Eddie s'y accrocha ardemment. Il se laissa bercer par le son. Ignorant la position que tenait cette bouée de sauvetage.

- Guide-moi... Guide-moi quoi que tu sois.

Que pouvait-il faire d'autres ?

Pulsant de force et résilience, le son salvateur se mêlait aux battements de son cœur.

Les racines l'enserraient fermement. En souffrance, mais s'accrochant. Les échos délicats d'un espoir vacillant murmuraient dans son être, cherchant à le soutenir malgré tout.

"L'enfant... il n'avait pas vu son visage mais il semblait si paisible, si vulnérable. Si... réel.

Il ferma les yeux, fouillant dans les recoins les plus profonds de sa mémoire.

Je dois me souvenir... me rappeler si j'ai déjà rencontré cet enfant et... cet homme. Selon une idée répandue et malgré le fait que ses souvenirs semblaient se dérober à lui, tous les visages que l'on voyait dans les rêves étaient ceux des personnes que l'on avait déjà croisées dans notre vie.

Rien de concret ne se formait dans son esprit. Ils deviendraient une obsession.

***

Clignant des yeux frénétiquement. Respirant bruyamment comme si ses poumons avaient été privés pendant un temps d'éternité. Il prit conscience que tout ce qui se trouvait autour de lui ainsi que les lianes avaient disparu dans un claquement sec. Un interrupteur qu'on avait instantanément éteint puis rallumé.

Les signaux étrangers qui l'avaient troublé ne pesaient plus sur sa conscience. Les débris épars et les murs rongés de son mobil-home les rappelaient eux aussi hors de son esprit embrouillé.

La sangle trainait en partie sur le sol.

Déterminé à rejoindre son maître ; Ozzie ne pouvait pas se tenir aussi solidement qu'auparavant, mais doté d'une détermination infaillible ; il trouvait des appuis.

Apaisé malgré la blessure qui traversait son corps ; il posa ; en quête d'un repos bien mérité ; sa tête fatiguée contre la jambe d'Eddie.

- Tu es vivant... Comment... je... Ozzie... murmura Eddie.

Le ronronnement réconfortant s'intensifia alors qu'Eddie réalisait petit à petit.

Ébranlé à l'idée que les ronronnements d'Ozzie l'avaient aidé à revenir à la réalité ; des larmes de gratitude commençaient à perler dans ses yeux.

En tant que guitariste, il était conscient des différentes notes de musique et de leur capacité à évoquer des émotions. Mais comment les ronronnements d'Ozzie pouvaient-ils agir de la même manière ?

Une forme de musique à part entière. Tes ronronnements... ils ont leurs propres fréquences, leurs propres rythmes.

Ils touchaient son âme de la même manière que les accords de sa guitare.

J'ai raison ? C'était toi, Ozzie... C'était ton ronronnement qui... qui m'a rappelé. Il avait les larmes aux yeux. Tu savais, tu as utilisé la musique pour me sauver de cette vision. Ozzie ne répondit pas.

Habitué au fait qu'il occupait littéralement son esprit depuis qu'il l'avait rencontré ; il ressentit un sentiment d'abandon. La confusion se dessina sur le visage d'Eddie. Il se demandait pourquoi Ozzie était soudainement muet, comme si les mots lui étaient devenus inaccessibles.

Leur connexion ne s'était-elle pas rétablie ?

Épris de nervosité, Eddie posa sa main sur la tête d'Ozzie. Le grattant doucement. Sa plaie ne semblait plus saigner.


Eddie scruta soudainement les environs, cherchant des traces de l'homme qui avait occupé le cocon. Mais il n'y avait aucune trace de lui. L'homme avait tout bonnement disparu.

Un frisson lui parcourut l'échine. Il avait vu l'homme mort dans sa vision, il lui avait tenu la main. Et maintenant, il n'était nulle part.

Ozzie... Que s'est-il passé ? Où est-il parti ? s'interrogea Eddie à voix haute.

Des pensées contradictoires se bousculaient.

Peut-être que l'homme s'était enfui, profitant de sa lutte mentale. Comment s'était-elle manifestée ? À quel moment avait-elle commencé ? Quoi qu'il ait pu se passer, cette explication semblait tout aussi improbable. Comment l'homme aurait-il pu s'échapper dans l'état où il se trouvait ?

Peut-être qu'Ozzie, affamé et en quête de forces, l'avait dévoré.

Les restes... Il y aurait eu des r...

Eddie se perdit dans ses réflexions, essayant désespérément de trouver une réponse logique. Mais plus il y pensait, plus il se rendait compte que rien ne tenait debout.

Il passa sa main sur l'entaille qui traversait la hanche d'Ozzie, comme pour se rassurer de sa présence tangible.

Il préféra se questionner sur ce qu'il était déjà en mesure de comprendre.

Comment as-tu su ?

Tu as utilisé le langage universel de la musique pour me ramener à la réalité, comme on a fait pour Nancy... articula Eddie avec une certitude nouvelle.

Tu étais là... tu m'as sauvé. Je t'ai cru mort.

Ozzie leva légèrement la tête. Il semblait vouloir communiquer ; le rassurer.

Je ne comprends pas pourquoi notre lien ne s'est pas rétabli, Ozzie. Mais peu importe, tu es là maintenant, et c'est tout ce qui compte.

Il jetait des coups d'œil au chien. Espérant toujours un signal de réconfort.

En réponse, Ozzie reposa sa grosse tête sur son bras libre ; son ronronnement se faisant plus intense. Eddie fut pris d'un rire anxieux.

Hé Ozzie, tu sais... normalement les batraciens, ils sont pas connus pour leur ronronnement apaisant, tu vois ce que je veux dire ? Eddie haussa les épaules.

Peut-être que tu es un batracien mutant, un mélange étrange de chien et de grenouille. Un "chienouille" ? Qu'en penses-tu.

Il cherchait à plaisanter. Même si cela ne faisait rire que lui.

Il leva les mains.

Ne me le fait pas payer à nouveau hein...

Ozzie ne réagit pas.

Qui sait, peut-être qu'un jour, je pourrai t'apprendre à sauter aussi haut qu'une grenouille et attraper des mouches en plein vol au lieu de dévorer des... des...

Ouai... ça serait mieux.

Les mouches c'est mieux.

Eddie Munson/Kastheory - Pétales closesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant