Chapitre 1 - Paralysie

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Animées par une force apathique ; les racines huileuses glissaient lentement sur son corps.

Un geste spasmodique comprima entre ses doigts quelques fils de laine qu'il avait glanés sur le gilet de chasse de Dustin.

Il pouvait encore sentir sa présence ; l'arôme sucré salé des "Little Debbie Nutly bars", ainsi qu'un fumet à peine perceptible, mais bien présent de laque pour cheveux lui tenait compagnie. S'attardant au dessus de son corps contusionné.

"- Hen... Henders..."

L'obligeant à tourner la tête ; une racine trouva son chemin.

Il ouvrit les yeux ; conscient de la présence rampante contre son cou.

Son cerveau envoyait une injonction instinctive, mais son corps refusait d'obéir. Il connaissait ça.

Cette paralysie était la seule chose qui le maintenait à la fragile humanité qu'il tentait désespérément de préserver.

Il avait passé toute sa vie à fuir.

Ce corps si lâche...

Il ne pouvait comprendre pourquoi il avait pris un tel risque.

Pourquoi s'était-il tant exposé ? Pourquoi avait-il abandonné cette fuite éternelle pour se battre contre Vecna et son armée ?

Les chauves-souris. Il ne pouvait les voir et encore moins les entendre les entendre. Ces saletés de chauves-souris.

Il avait pris l'habitude de se montrer distant pour éviter d'être blessé.

Mais il n'avait pourtant pas hésité à protéger ceux qui n'étaient pas parvenus à l'abandonner. Et il leur disait merci pour ça.

Retarder les plans de Vecna. Mais à quel prix ?

Il était là, étendu. Vivant. Pourquoi faire ? Rien ne lui semblait avoir changé.

Il s'était pourtant senti si apaisé. Il était persuadé d'y avoir laissé sa peau. Cela avait été un des rares moments où il s'était senti vraiment vivant.

Mais pourquoi cela faisait-il aussi mal ?

Il avait été prêt à mettre de côté sa propre sécurité pour ses amis.

Combattre les monstres et démons du monde à l'envers. Pour la justice.

Pour Chrissy.

Et tout cela le blessait encore plus que les dents acérées des créatures volantes.

Lorsqu'il endossait le rôle de Maître du Donjon, il se sentait plutôt à l'aise et en contrôle. C'était un rôle qui lui permettait de montrer sa créativité et sa capacité à diriger, mais aussi de se sentir inclus dans le groupe.

Il avait éprouvé des difficultés à se connecter avec les autres et exprimer sa véritable nature. De plus, il avait du mal à avoir foi en lui-même.

Il sentit son estomac se contracter alors qu'il tentait de rire, son esprit essayant de le ramener à de bon souvenirs.


À défaut de ne pouvoir endosser le rôle au moins une fois, et même si Eddie lui interdisait formellement de jeter un œil à ses fiches au risque de se faire bannir de la contrée ; Henderson n'était jamais loin lors des créations de campagne.

Ce gamin n'avait jamais hésité à braver les interdits ; à donner des conseils ou faire valoir ses idées.

Et plus que tout ; consciemment ou non ; il lui donnait la confiance dont il avait besoin pour diriger le groupe.

Eddie avait également une dynamique particulière avec le jeune Wheeler ; une admiration secrète pour ses compétences techniques d'ancien Maître du jeu.

Et quand celui-ci ne manquait pas les campagnes ; un semi-respect pour l'audace de Sinclair.

Le monde continuait de tourner sans lui.

Hors du monde à l'envers ; là où les hommes donnaient une existence au temps.


Pourquoi était-il seul ? Depuis combien de temps gisait il sur ce sol de béton ? Dustin l'avait cru mort, il l'avait laissé. Il le concevait. Tout ce qu'il espérait ; c'est qu'ils avaient réussi. Qu'ils s'en étaient sortis. Robin, Steve, Nancy. Et Max ? C'est alors qu'il entendit un bruit.

Son corps ne répondait toujours pas. Il commença à paniquer lorsqu'il ressenti du mouvement autour de lui.

"Une paralysie du sommeil. Je ne vois que ça. Détends-toi. Ce n'est qu'une paralysie du sommeil. Tu es blessé. Tu as survécu. Tu connais ça. Tu n'as pas dormi depuis des jours. Tout est mort autour de toi."

Sa mâchoire restait crispée. Ces mots ; il ne les articulaient que dans sa tête. Seule sa langue suivait les syllabes.

"Tu en as vu des choses... Ces jours... Ton esprit s'en nourrit. Vecna est mort. Ils l'ont vaincu."

"Ils l'ont vaincu."

Pourquoi ne parvenait-il pas à s'en convaincre ? L'esprit de ruche. Wheeler en avait parlé après le sauvetage d'Harrington.

"Marche sur une racine ; marche sur Vecna."

"Les racines !" Il ne la sentait plus, mais un souffle chaud fit frémir sa peau glacée.

Il ferma les yeux ; soufflant de détresse.

"Tu connais le déroulement. Les hallucinations auditives ; visuelles. Et la paralysie... Tu peux la gérer. Tes yeux ; tu les as déclenchées en ouvrant les yeux.

Subit. Subit ; tu n'as que ça à faire.
Ça va s'arranger."

Une soif de sang l'envahit.

"Tu sortiras de là et tu les rejoindras."

Eddie Munson/Kastheory - Pétales closesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant