Jour 12 | Johnatan

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–𝙇𝙚𝙨 𝙘𝙤𝙪𝙡𝙚𝙪𝙧𝙨. 𝙀𝙡𝙡𝙚𝙨 𝙨𝙚 𝙨𝙪𝙥𝙚𝙧𝙥𝙤𝙨𝙚𝙣𝙩, 𝙚𝙡𝙡𝙚𝙨 𝙨'𝙚𝙣𝙩𝙧𝙚𝙘𝙝𝙤𝙦𝙪𝙚𝙣𝙩, 𝙚𝙡𝙡𝙚𝙨 𝙨𝙚 𝙜𝙡𝙞𝙨𝙨𝙚𝙣𝙩 𝙡'𝙪𝙣𝙚 𝙘𝙤𝙣𝙩𝙧𝙚 𝙡'𝙖𝙪𝙩𝙧𝙚. 𝙀𝙩 𝙚𝙡𝙡𝙚𝙨 𝙛𝙤𝙧𝙢𝙚𝙣𝙩 𝙘𝙚 𝙦𝙪𝙚 𝙣𝙤𝙪𝙨 𝙖𝙫𝙞𝙤𝙣𝙨 𝙙𝙚𝙧𝙧𝙞𝙚̀𝙧𝙚 𝙡𝙚𝙨 𝙮𝙚𝙪𝙭. 𝘾𝙚 𝙦𝙪𝙚 𝙣𝙤𝙪𝙨 𝙣' 𝙖𝙧𝙧𝙞𝙫𝙤𝙣𝙨 𝙥𝙖𝙨 𝙖̀ 𝙚𝙭𝙥𝙧𝙞𝙢𝙚𝙧–


Je dépose les couleurs sur l'énorme toile devant moi. Elles s'entrechoquent, elles créent petit à petit une explosion de couleurs. Elles forment un mouvement. « Celui des vagues ». Celui de vagues.

Je change la musique depuis mon téléphone, le tâchant au passage de mes doigts remplis de peinture bleue. Mon groupe préféré du monde entier résonne entre les quatre murs de mon atelier.

Je prends du recul pour admirer mon œuvre. Je regarde tout le bleu que j'ai posé dessus. Je regarde la mer déchaînée que je viens de créer. Celle qui montre l'état de mon esprit...

Je n'arrive qu'à peindre l'océan. Je ne veux peindre que celui-ci. Cette immensité bleue, ce monde inconnu aux yeux de tous. Cette force indomptable, d'une certaine façon. Je regarde l'eau que j'ai ancrée dans mon tableau. Elle ne bouge pas, elle est comme bloquée par le temps. L'eau est puissante dans mon tableau. On ressent de la colère. Une colère qui sommeille en moi depuis petit garçon.

Je pourrais rester là à le regarder pendant des heures. Je pourrais rester regarder l'océan des heures.

Je regarde mes mains, c'est un vrai carnage. Je les essuie sur mon pantalon déjà plein de peinture sèche. Un bruit me fait sursauter, je me retourne et vois la fenêtre coulissante se cogner contre le mur à cause du vent qui vient de se lever. « Il a fini de dormir... ». Je m'en approche pour la fermer, mais mes yeux se posent sur une silhouette sur la plage. Ses cheveux sont balayés par la force de l'océan, le vent. Elle est droite devant lui, à le regarder. « Le regarder pendant des heures. Comme tu le fais ». Comme je le fais.

Aleksandra Keen est un vrai mystère. Elle se cache, elle ne veut pas qu'on la voit. Elle cache son corps sous ses vêtements beaucoup trop grands, un corps magnifique... Elle a peur de ce qu'elle peut ressentir, elle ne s'autorise à rien, seulement à subir la douleur qui est en elle, tout comme moi j'ai la colère.

Elle a un passé sombre, j'en suis conscient. Et j'irai à son rythme. Parce que je veux savoir. C'est mon côté curieux qui ressort, j'aime savoir les choses, les découvrir. « A toi de la découvrir Johnny ». C'est vrai.

Je finis par fermer la porte coulissante et attrape ma tasse de café vide près de mon nouveau tableau. Je prends soin de refermer la porte derrière moi. Je descends à la cuisine et dépose ma tasse à expresso dans le lave-vaisselle.

Les mains dans les poches je marche vers la baie vitrée. Mes yeux observent l'horizon, puis ils se posent sur elle. Elle est toujours sur la plage, devant l'océan agité. Je soupirs et ouvre la porte-fenêtre.

Le vent me frappe avec violence le visage, mais cela est si doux. Ce grand souffle de la nature qui passe sur chaque parcelle de mon visage, cet air droit venu de la mer, celui qui sent l'iode, mon préféré. Mes pieds nus s'enfoncent dans les millions de grains de sable posés sur cette plage. Je m'approche du rivage, près d'elle.

Elle n'a pas bougé depuis avant. Elle porte seulement un énorme pull qui lui arrive aux genoux.

Pourquoi s'habille-t-elle d'une telle façon ? Que lui est-il arrivé ? « Des questions pour lesquelles les réponses ne viendront que quand tu lui demanderas de vive voix ».

Aleksandra tourne sa tête et regarde derrière elle, et ses yeux se posent sur moi. Elle ne dit rien et regarde à nouveau l'océan. Je m'arrête à ses côtés. Je regarde son visage de haut, et constate qu'elle pleurait.

— Si je te dérange, je peux m'en aller, je dis en commençant à reculer.

Elle secoue la tête de droite à gauche tout en portant une main sous ses yeux pour essuyer ses larmes.

— Non. C'est bon, tu peux rester, rétorque-t-elle gentiment.

Alors, je reste près d'elle, à regarder l'océan en jouant avec mes doigts. Un toc que j'ai depuis gosse, dès que je ne faisais rien, je jouais avec mes doigts. « Dès qu'il te criait dessus ». Aussi. Je retire la peinture sur mes ongles, sur ma peau ce qui fait tourner la tête à Aleksandra.

— Tu peins ?

— Oui j'ai un atelier à l'étage, je lui réponds en pointant du doigt le premier étage de la maison.

— Tu ne me l'a pas montré quand je suis arrivée, dit-elle en regardant seulement l'océan.

Quand elle parle, elle dévie toujours le regard... Pourquoi ? « Tu l'intimides ». Ce n'est pas ce que je souhaite.

— Nan, c'est vrai. Je n'y ai pas pensé. Pour moi c'est...

— ...comme un endroit secret, me coupe Aleksandra.

Je souris en poussant du sable avec mon pied. Je sais qu'elle ne va pas poser plus de questions, alors...

— J'ai commencé à peindre quand ma mère est morte, lui dis-je en baissant la tête. Et, ça n'a pas plu à mon père. Je ne sais pas pourquoi d'ailleurs. Alors, je ne peignais que quand il n'était pas à la maison, c'est-à-dire pratiquement tout le temps.

— J'aimerais dire quelque chose, mais un désolé serait stupide, me dit Aleksandra en baissant son regard sur les vagues.

Je fronce les sourcils en l'observant un moment.

— Je trouve stupide de dire désolé à une personne qui a vécu un malheur. Car ce n'est pas à cause de nous et... personnellement, je ne trouve pas ça réconfortant du tout.

— J'avoue que tu as raison, je dis en lâchant un petit rire.

Elle regarde mes doigts une nouvelle fois et ouvre la bouche. Parle Aleksandra, parle, j'aime tellement t'entendre parler, avoir une discussion plus longue que deux minutes, parle-moi, je t'en prie. Mais, elle referme sa bouche. De longues minutes passent et soudain le son de sa voix arrive à mes oreilles :

— Je... mon père était peintre. Il avait pourtant du talent, beaucoup de monde le connaissait pour ses tableaux d'art moderne, mais...

Des larmes défilent le long de ses joues, et elle ne dit plus rien. Ses lèvres tremblent après qu'elle ait prononcé un bout de son passé.

— Merci, avoué-je en la regardant. Merci de t'ouvrir un peu plus à moi, Aleksandra.

Elle ne dit rien. Un petit sourire naît sur mes lèvres et nous regardons l'océan chacun de notre côté, avec chacune de nos pensées, pendant un petit bout de temps. 



CORRIGÉ

LA VIE COULE EN NOUSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant