Passé

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–𝙅'𝙖𝙞 𝙪𝙣𝙚 𝙥𝙤𝙨𝙨𝙞𝙗𝙞𝙡𝙞𝙩𝙚́ 𝙥𝙤𝙪𝙧 𝙖𝙧𝙧𝙚̂𝙩𝙚𝙧 𝙩𝙤𝙪𝙩 𝙘̧𝙖. 𝙅𝙚 𝙨𝙖𝙞𝙨 𝙦𝙪𝙚 𝙟'𝙚𝙣 𝙖𝙞 𝙪𝙣𝙚–



2020

Aleksandra, 16 ans.


Les musiques par millier entrent dans mes tympans. Mes pensées vont dans tous les sens, telles les lumières rougeâtres au plafond. La foule autour de moi sautille et je suis là, plantée au milieu du BLACK PEARL, totalement défoncée.

J'aime cette sensation d'être perdue au milieu de toutes ces personnes qui prennent leur pied. J'aime la force qui règne dans la salle. Je rejette la tête en arrière et mes yeux vont se loger derrière mes paupières. J'écoute la musique et commence à danser. Je faufile mes mains au-dessus de ma tête et me balance de droite à gauche.

La drogue dans mon sang me fait planer haut. C'est même l'une des premières fois que je suis aussi éloignée de la réalité. Ma triste réalité.

Malgré les dizaines de personnes autour de moi, je sens un regard. Il est ancré sur moi. Il me brûle la nuque et je déglutis. Je cesse de bouger alors que la masse humaine continue de bouger et sauter dans tous les sens. Je redresse la tête et la regarde pour trouver les yeux qui me lorgnent. Je tourne sur moi même mais je ne trouve rien. Et là, mon cœur bat plus vite qu'il ne le fait déjà, car je sais qui me scrute comme ça.

« Un démon ».

J'évite de regarder les escaliers en colimaçon qui mènent au balcon vip, là où se trouve son bureau. Je me glisse dans la foule jusqu'au bar où je vois Alejandro en train de faire des boissons. Ses yeux se posent sur moi qui titube. Je pose mes bras contre le bar presque vide. Je m'assois sur un des tabourets la tête en vrac. Un verre de vodka se loge devant moi. Je regarde devant moi et vois l'homme qui est originaire de mon mal être...

— Lachlan, dis-je les dents serrées.

La musique à fond et les exclamations dans la salle brouillent ce que je viens de dire, mais ses yeux noirs comme son âme fixent mes lèvres et il commence à sourire méchamment. Alejandro me regarde à l'autre bout du bar avec un petit signe de la main pour me dire qu'il est là. La montagne en face de moi pose ses mains gigantesques sur le bois du bar et y prend appui.

Pourquoi il est là lui ? Pourquoi il est pas allé faire ses affaires dans son coin putain, pensé-je.

Je sais que je devrais accepter aucun verre d'un homme mais... mais... « Y a pas de mais Alek ! » Je bois cul sec le verre sous le regard du gérant du BLACK PEARL. Cet homme maléfique est entré dans ma vie il y a peu de temps. C'est pourtant le patron du club mais il ne descendait jamais. Je ne l'avais jamais vu jusqu'à peu et j'aurais bien voulu ne jamais le rencontrer.

J'aurais aimé ne jamais exister aussi. Mais on ne peut pas tout avoir.

Il ne connaissait pas mon existence et ce n'est certainement pas Hector qui lui aurait dit quelque chose sur moi. Du moins j'imagine. Je pense plutôt que c'est Alejandro qui a fuité mon identité pendant une conversation avec son patron. Je lui tends mon verre vide et il le remplit sans problème. Je le bois lui aussi cul sec et pose violemment le verre sur le bar.

Je ne donne aucun regard au démon derrière le comptoir et file dans la foule pour m'évader à nouveau. Mais même en dansant, je pense à lui. J'ai peur de lui, bien plus que mon père... Ce qui me fait peur par-dessus tout c'est de me dire qu'il y a bien pire que mon père. Il met pourtant la barre haute avec ce qu'il fait à sa fille, mais des monstres bien plus mauvais que lui existent.

Je vis dans un monde fait de monstres et de démons. Est-ce l'enfer ? Non, c'est bien la Terre. Cette planète pleine d'immondices et de terreur. Cette planète que tout le monde croit sûre et bienveillante. Je leur rirais bien au visage à ces personnes qui y croient mais je ne rigole plus depuis longtemps.

Je sors mon téléphone de mon pantalon. Zéro notification. Ce n'est pas étonnant. Mon cœur se serre un peu à la pensée de Kim. Elle est injoignable, elle ignore mes appeles et messages depuis des semaines. Depuis ce fameux soir.

3h03.

Je le remets dans ma poche et me glisse vers la sortie. Je monte les escaliers en moquette avec un peu de difficulté. Je longe le long corridor pour atteindre la sortie et je constate qu'il neige encore. Hector n'est plus là et il n'y a pas un chat dans la rue. Je prends une bouffée d'air et entre dans le rideau de flocons. La neige tombe vite dans les airs. Je me repère grâce au lampadaire qui illumine la rue d'une lumière jaune semblable à celle du soleil.

Je marche lentement. Mes pieds s'enfoncent dans la neige stagnante sur le trottoir. Je manque de tomber quand je quitte celui-ci pour me mettre sur la route dégagée. Je stoppe au milieu de la rue déserte et me tiens la tête. Je n'arriverai jamais à aller chez moi dans cet état. Une lumière se répand devant moi. Je regarde derrière moi. La voiture aux feux légèrement bleutés s'arrête à quelques centimètres de mes jambes . L'inconnu baisse la fenêtre et me dit de monter. Mon corps se crispe sous la voix de Lachlan.

— Monte bordel, crie-t-il à nouveau.

Je sursaute à sa voix grave et menaçante.

« Tu n'as pas intérêt à monter Aleksandra Keen ». Je... « Non ».

Je contourne la voiture dernier modèle et devant la porte je pose mes doigts et hésite. Je finis par y monter avec beaucoup de regrets. Je lui crache mon adresse et ne dis plus rien. Il démarre en trombe et me conduit sans un mot jusqu'à chez moi.

L'atmosphère est oppressante, Lachlan lui-même est oppressant. Je n'ose pas le regarder, je préfère poser mes yeux sur l'avenue principale totalement vide et sans vie. Mon corps tremble dans mes habits humides et froids. Je passe ma main sous mon nez en reniflant.

J'aurais un rhume. « Tu m'étonnes. Sortir en petit pull en hiver... Bravo très belle déduction Sherlock ! ». Ta gueule putain.

Mon sang tambourine dans mon crâne. Mon cœur bat à mille à l'heure et mon ventre se tord.

« Ce serait drôle que tu gerbes dans sa caisse ».

Un haut le cœur s'empare de moi, mais je me concentre pour ne pas vomir. Lachlan passe le pont menant à mon lieu de vie. Un lieu de mort.

— Arrête-toi là, dis-je en désignant la première maison de mon quartier.

Mais il ne fait rien et va se garer devant ma maison, celle de l'enfer. Une boule grimpe dans ma gorge. Je secoue la tête et commence à ouvrir la portière. Faite qu'il dorme. Faite qu'il dorme, je vous en supplie. Je pose un premier pied sur le sol légèrement glacé.

— Tu n'as qu'à me dire un mot et c'est un homme mort Aleksandra, dit Lachlan.

Je me stoppe dans mon élan. Je déglutis péniblement. Soudainement, un espoir se dessine devant moi, mais il est vite effacé par mes pensées sombres. Même si la vie me retire mon père, je serais toujours la même et je ne pense pas je pourrais devenir une autre personne que celle que je suis aujourd'hui.

Je jette un œil derrière moi et vois Lachlan m'observer avec un semblant de compassion sur son visage.

— Merci de m'avoir ramenée, dis-je en sortant de la voiture.

La neige s'abat à nouveau sur moi. Je me glisse dans mon jardin non déblayé. Je marche dans la neige qui m'arrive au mollet et tends mes bras sur les côtés pour ne pas tomber. Sous le palier de porte je regarde la rue déserte et m'aperçois qu'il n'a pas démarré. Je rentre dans la maison le plus doucement possible, mais dès que je mets mon pied sur la première marche de l'escalier du malheur, une lumière, s'allume dans le salon.

Les larmes me viennent directement. Je vais alors vers lui et attends ses représailles. Ce que je sais c'est que la voiture de Lachlan s'en va une fois que mon père a commencé à me frapper. 




CORRIGÉ

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