PROLOGUE
On a beau dire, le temps n'a jamais la même valeur.
Les fractions de secondes qui précédèrent notre fuite furent courtes, sans conséquences. Lorsque nous prîmes l'ascenseur, sans bruit, elles semblèrent se décupler. Lorsque nous courûmes dans la rue, que les battements désordonnés de nos cœurs apeurés frappaient notre poitrine et que du sang noir coulait de la figure de Noé, l'instant fut comme un rêve, d'une brève longueur. Quand Loup rafla trois sacs dans la benne à vêtements près du parc, je le regardais de loin, alors qu'une lourdeur se déplaçait lentement de ma tête à mes pieds, en écrasant tous mes organes, et cela dura trop longtemps. Ces images restèrent dans ma tête, et revinrent à mes yeux aussi souvent que ma mémoire en avait envie. Voilà dans quel fracas, dans quel chaos notre aventure commença.
Une sensation bizarre m'emplissait depuis notre fuite. L'adrénaline prenait la place de l'oxygène dans mon sang, mes yeux tournaient, ma tête, vrillée d'idées violentes, était bourdonnante et lourde. Une demi-heure après s'être engagés sur l'autoroute, tout était encore là, j'étais paralysée. Le paysage défilait à toute allure, la vitesse me clouait à mon siège. Violette, à côté de moi, et Loup, penché contre la vitre, restaient silencieux. Mon frère Noé caressait le volant avec des doigts hésitants et avides, comme s'il touchait une fille, ou bien un trésor, et tantôt l'empoignait fermement, tantôt le parcourait du bout de la main. Les sacs empilés à mes pieds exhalaient un parfum enivrant de lavande.
Dans la voiture, il y avait Noé, donc, mon frère de dix-sept ans, au visage ravagé d'ecchymoses et de traces brunâtres, Loup, son meilleur ami, de quelques mois plus jeune que lui, un bonnet enfoncé sur la tête et les yeux mi-clos, Violette, ma petite sœur dont les cheveux emmêlés collaient aux joues, et dont la main, prisonnière de celle de Loup, semblait plus en sécurité que nous tous. Pour finir, il y avait moi, Elena, quinze ans, secouée par la tournure que nos vies prenaient.
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LA ROUTE
Teen FictionC'était le printemps. Une nuit. Violette pleurait. Noé se battait dans la cuisine. J'avais peur, je fermais les yeux, tenais ma sœur dans mes bras. Une nuit. Loup a sonné à la porte. Ce fut très rapide. La seconde d'après, nous étions partis. Sur la...