CHAPITRE 7

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7.

Nous avions tous faim. On crevait la dalle, même. Et nous n'avions, en tout, plus que de quoi payer le prochain péage. Violette était blême, à l'arrière, et même Loup nous privait de sa voix. Noé, bien sûr, n'avait jamais été très bavard. Je ne m'inquiétais pas. Mais quelque chose dans ses yeux me faisait peur. Quelque chose de noir, mat, sans profondeur et sans lumière. La résignation. Je devais lui parler.

−Noé, c'est la dernière aire avant des kilomètres, prévint Loup.

−On va s'arrêter, alors. Dormir un peu.

−Il faut qu'on mange ! Regarde la petite, dit Loup en désignant Violette, avachie sur son siège, les yeux mi-clos.

−Prenez les Tic Tac.

Il nous jeta les petites boîtes à la figure. J'avalai deux fois mon quota journalier en moins d'une minute.

−J'ai mal au ventre, gémit Violette.

Des cernes bleus se dessinaient sous ses yeux et une moue déformait son visage.

−D'accord.

Loup et moi étions dans le rayon des pâtisseries et confiseries. Le plan était simple, enfin je crois. Je prenais le plus de petits objets dans mes poches, comme des tubes de Mentos et des barres chocolatées, puis je me servais en biscuits – de préférence des paquets plats. Je ne parvins pas à en glisser un sous mon pull.

−Loup, chuchotai-je. Je peux pas.

Il acquiesça et s'approcha de moi, posa les mains sur le mur de chaque côté de ma tête. Je regardai par-dessus son épaule. Il me cachait complètement de la caméra de surveillance. Pendant une seconde, nous restâmes immobiles. Ne bouge pas. Je fixais sa poitrine, sans respirer. Sa main descendit le long de mon épaule et il attrapa le paquet que je tenais fermement. Ma main moite collait au plastique. Il glissa les biscuits sous son sweatshirt en se penchant un peu plus. Il avait posé une main sur ma taille. J'eus un frisson.

−Maintenant, tu souris, m'intima-t-il.

J'obéis. Peut-être bien que je n'eus pas à me forcer. Le trouble s'était chargé de mon expression faciale. Je suivis Loup à travers les allées jusqu'à la sortie. Il marchait tranquillement alors que je rêvais de m'enfuir en courant. Nous passâmes près d'une caissière au regard soupçonneux.

−Je te l'avais dit, Marie, ils ne vendent pas de minis babas au rhum ici ! dit Loup en passant un bras derrière mes épaules.

−Tant pis, répliquai-je. Ils ne savent pas ce qu'ils ratent.

Loup me lâcha. Nous étions sur le parking. J'avais les poches pleines de bonbons et le cœur encore tressautant. Un fou rire me prit.

−Des minis... des minis babas au rhum ?

−Hé, j'ai fait ce que j'ai pu !

Nous riions. Je me tenais les côtes. Loup avait les larmes aux yeux. Son rire était fort, rauque. Je voyais le paquet rectangulaire bouger sous son sweatshirt.

−On s'est bien débrouillés.

Nous rejoignîmes Noé et Violette derrière un entrepôt pour déguster notre butin dans la voiture. C'étaient les meilleurs biscuits que je n'avais jamais mangés, les meilleurs Mentos jamais volés. Une vague de bonheur me submergea sans prévenir, là, alors que j'étais assise au bord de mon siège et que nos mains se battaient pour quelques miettes au fond du paquet de biscuits. Le bonheur pur, brut, l'attrait du danger, l'effervescence du moment et l'incertitude. Tout se mélangeait. Une immense joie se mêlait à une douleur intense. J'eus soudain envie de pleurer. L'incertitude de l'après. Voilà ce qui nous attendait tous. Un après imprévisible, une promesse. Un sentiment de peur phobique s'empara de moi, et je m'immobilisai. Puis une question vint. De quoi ai-je vraiment peur ? Je regardai Loup. Je ne connaissais rien capable de me faire trembler plus que lui. Mais ce n'était pas de la peur.

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LA ROUTEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant