CHAPITRE 16

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16.

Camille conduisait vite.

−Désolée, désolée, Elena. Je t'avais oubliée.

Le garçon à côté d'elle se retourna dans ma direction, et je baissai la tête.

−Tu m'étonnes ! Elle aurait pu se perdre, dit-il avec un ton moqueur. Enfin... c'est vrai qu'elle sait se faire discrète, quand elle veut...

Il tendit le bras et, du bout des doigts, me leva le menton pour que je le regarde. J'étais pétrifiée.

−Arrête de la taquiner, Edouard, râla Camille par-dessus les bruits des voitures alentours.

Edouard me sonda du regard quelques secondes, puis se rassit correctement dans son siège. Je regardai dehors, tentai de garder le contrôle sur ma respiration. Mais à l'intérieur de moi, tout semblait s'affoler. Des mots épars fusaient dans ma tête, comme « danger », « calme » ou « lui ».

Camille me lâcha devant chez les Vanpeels, s'excusa encore de m'avoir oubliée, et, sans prendre la peine de remonter la vitre, se pendit au cou d'Edouard, quémandant un baiser. J'avais un goût amer dans la bouche, et, consciente de trembler, je décidai de ne pas rentrer tout de suite. Je fis le tour de la maison au moins cinq fois, puis finis par m'allonger dans le jardin, dans l'herbe humide. Les bruits de la ville parvenaient encore à moi. Je me recroquevillai, l'oreille pressée contre le sol. J'aurais voulu rester ici plus longtemps, toute la nuit. Mais Violette déboula dans le jardin.

−Elena ?

Je me relevai, hésitai sur la façon dont je devais me comporter.

−Tu faisais quoi ? demanda-t-elle.

−Laisse. Je rentre.

−Non, attends.

Elle s'approcha de moi, murmura :

−Il y a un chat qui est rentré dans la chambre.

Gatsby se tenait, tout droit, au bord du lit de Violette. Gatsby, c'était le nom que j'avais choisi pour le chat, parce que, malgré ses airs de beau fauve, il était plein de secrets. Il avait le poil jaune, les yeux mordorés – bien que celui de droite eût une teinte plus foncée – et les pattes brunes.

−J'aimerais bien qu'on le garde, dit Violette, plongée dans un coloriage.

−Oui, moi aussi, mais je pense pas que Jeanne sera d'accord.

−Il est trooop mignon.

Violette s'approcha de lui, posa une main sur son dos. L'animal eut un sursaut et donna un coup de patte à l'enfant, zébrant sa peau blanche de deux lignes écarlates.

−Tss ! Dégage, Gatsby !

Violette retenait ses larmes en se mordant la lèvre. Je la pris dans mes bras.

−Faut pas lui en vouloir, il est sauvage, hein, dit-elle, comme pour me rassurer.

Je plongeai ma figure dans ses cheveux. Elle sentait la vanille, l'enfance. Je m'abandonnai quelques secondes au rêve puéril de pouvoir inverser le temps.

Ce matin, quelque chose, peut-être le chat, peut-être le sommeil, m'avait redonné le goût de sortir. Je m'étais coiffée – quelques cheveux, d'un blond maladif, étaient restés piégés dans la brosse – et j'avais mangé, plusieurs tartines, même. Le bus déversa un flot d'élève toujours aussi conséquent, et je fus pratiquement portée par la marée humaine qui déferlait sur le lycée. Passé l'épisode traumatisant de la montée des escaliers, où il fallait sans cesse trouver son équilibre et surtout trouver les marches, je me retrouvai seule dans le couloir, face à la salle de mathématiques. Je soupirai, me laissai glisser contre le mur. La rumeur des couloirs commençait à s'éteindre quand je reconnus une voix. Je gardai la tête baissée, fixai mes genoux tout en concentrant mon ouïe sur ce timbre masculin qui me rappelait quelqu'un. La voix se rapprocha, mêlée aux rires d'une fille que je connaissais bien aussi. Mon cœur commençait à s'emballer, je me sentais brûlante et horriblement mal à l'aise. Une paire de jambes vint se planter devant moi, et je levai la tête.

LA ROUTEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant