CHAPITRE 1

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1.

Une pluie de printemps frappait la carrosserie avec une véhémence féroce, et semblait vouloir nous faire faire demi-tour. Je frôlai les cordes de la guitare de Loup, son seul bagage. Elles étaient coupantes, rêches. La nuit se vautrait sur les toits, nous avancions comme pieds nus dans le noir. La lumière des phares semblait se fondre au loin, happée par les ténèbres, ou peut-être infinie. Nous la suivions sans bruit, seuls, étourdis, avec en tête la chanson lancinante des coups et des foulées. Je le jure, ce fut un moment incroyable. Un sifflement sourd m'empêchait de réfléchir, mon ventre s'était tant contracté par la peur qu'il me parut disparaître, mon cœur frissonnait sans oser battre tant l'angoisse était intense.

Dans le rétroviseur, je vis une larme balayer le sang sur la joue de Noé. Je serrai les dents, baissai la tête. Les pieds de Violette se balançaient contre son siège. Mon champ de vision était flou. Je finis par me laisser aller sur le côté, et m'endormis, le visage à quelques centimètres de la main de Loup, où le sang battait encore si fort.

−Ablatif absolu ! Descend de là tout de suite ! Oh mon Dieu, je vais avaler ma langue, hurlai-je.

Loup, sur les jambes duquel Violette et moi étions couchées, sursauta. Puis il se mit à rire. Je me relevai prestement, et ma tête cogna son menton.

−Oh ! Désolée ! Je... J'ai dit quoi ?

−T'allais avaler ta langue ! rit Violette. C'était trop drôle !

Je me redressai. La camionnette était arrêtée sur un parking de supermarché vide.

−On est où ? demandai-je en détachant ma ceinture.

−Noé a beaucoup roulé, on est à plus de quatre cents kilomètres de chez nous.

Je me penchai vers le siège conducteur. Noé n'était plus là. L'horloge du tableau de bord indiquait quatre heures vingt du matin.

−Où est Noé ?

−Il est sorti deux secondes.

Je levai un sourcil.

−Pour des besoins humains, compléta Loup.

Il ouvrit sa portière, sortit, fit le tour de la voiture et ouvrit la mienne. Un vent glacial réveilla ma chair endolorie, et un frisson me parcourut.

−Venez, sortez un peu, ça craint de rester dans cette bagnole.

J'aidai Violette à descendre du véhicule et nous nous retrouvâmes debout sur le goudron glacé du parking. Je pris une grande inspiration, et mon corps entier tressaillit. Loup, qui portait une veste, la retira pour l'enrouler autour de Violette comme une serviette de bain. Elle soupira, soulagée, et je la vis prendre une bouffée de l'odeur de Loup en enfouissant son nez dans le col de la veste.

−On dirait que le soleil ne viendra jamais, dis-je. Mais pourtant, la lumière est là, regarde. Au bord des arbres et sur le toit du hangar.

Nous admirions la clarté timide qui pointait au loin et dévorait les cimes. Violette avait pris la main de Loup. Je sentis le froid s'installer en moi, un froid matinal, glacé mais chaleureux. L'esplanade était gigantesque, découpée en centaines de rectangles à demi effacés. Il y avait cet omniprésent grondement de pneus provenant de l'autoroute vide.

−Brr ! Ça caille, ici ! grogna Loup en secouant ses bras.

Je lui jetai un bref regard. La chair de poule sur ses bras ressortait d'une étrange façon à la lumière des phares de la camionnette. Noé apparut soudain. Son œil droit était légèrement gonflé, et il avançait vers nous d'un pas bourru, penché en avant. En me voyant, il tenta un sourire.

LA ROUTEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant