CHAPITRE 19

24 4 0
                                    

19.

Un orage avait éclaté dans la soirée, nous privant d'électricité. Je m'étais allongée dans le noir, les bras en croix, essayant d'apprécier. Gatsby était couché sur mes chevilles. Il ne me quittait pas des yeux, et moi non plus. Je fixais ses iris mordorés, et parfois, je recevais une décharge d'adrénaline qui me faisait tressaillir.

Le ciel déversait sa colère sur la maison, et je l'enviais d'oser s'exprimer ainsi. La voix de Violette m'arracha à mes pensées. Je faillis ouvrir ma porte avant de me rappeler que je n'avais aucune envie de lui parler. Elle cogna trois fois au mur, espérant me faire réagir, puis se découragea. Alors je m'approchai, et tirai l'enveloppe qu'elle avait posée au sol. L'enveloppe gonflée. L'enveloppe humide. Je la tournai et la retournai dans mes mains, lus toutes les inscriptions – mêmes celles du cachet de la Poste –, mais il faisait trop sombre pour que je me fasse une idée d'où venait ce courrier. Je m'installai à mon bureau, balayai du bras la sciure de crayon et les anneaux de papier, et éclairai l'enveloppe avec l'écran de mon portable. La lumière bleue faisait comme des rayons X sur le papier détrempé. Je me rendis compte que l'adresse de l'expéditeur était illisible.

Gatsby se mit à miauler. Je le pris sur mes genoux avant de me décider à ouvrir l'enveloppe. Je déchirai le papier avec précaution, comparai l'avant à l'à-venir, puis à l'après qui m'attendait. Dans l'enveloppe, il y avait deux lettres.

Chère Elena,

Je ne t'écris jamais, d'habitude. Pas parce que les courriers sont contrôlés, mais simplement parce que je ne sais jamais quoi te raconter.

Tu me manques, Violette me manque, en voilà, des nouvelles. Je t'écris seulement pour te dire que la mère de Loup est passée, hier, ou peut-être avant-hier, je ne sais plus. Et elle m'a laissé une lettre. Je ne l'ai pas ouverte, j'ai préféré te laisser la découvrir. Quand tu l'auras lue, peut-être que tu pourras me la renvoyer ?

Oublie ce que je t'ai dit. Je n'ai pas envie de savoir ce que cette lettre raconte.

Une dernière chose, juste avant de te dire que j'ai hâte de vous revoir : tu n'as rien à te reprocher, Elena, rien. Tu es assez grande pour choisir dans quel sens tu comptes aller. Vers moi, c'est le passé. Vers Loup, vers tes souvenirs, aussi. Mais je crois qu'il est bon pour chacun de revenir en arrière pour ramasser les fragments de sa vie qu'il a laissés tomber.

J'arrête la poésie, petite sœur, et je te dis JE T'AIME et À BIENTÔT !

Noé.

J'avais une main sur la bouche. Mon cœur avait bondi dans ma poitrine dès le premier mot, et maintenant il se calmait. La deuxième lettre était écrite sur un papier plus foncé – sûrement du papier recyclé ou une lubie du genre – et elle attendait toujours, bien pliée dans l'enveloppe ouverte. Gatsby frotta son museau sur ma main. Il ondula le dos quand je le caressai. La deuxième lettre méritait sûrement d'être lue, mais je n'en avais aucune envie. J'avais peur que son contenu me fasse mal. Je n'étais pas prête à la lire, pas prête. Pas prête. Alors je refermai l'enveloppe avec de la colle, la scellai avec un morceau de Scotch et la tendis au chat.

−Tiens, Gatsby. Va jouer.

Soudain, la lumière se ralluma. Elle vacilla dans un bruit de grésillement, avant d'offrir une clarté stable à la pièce. Je me levai, passai mes doigts dans mes cheveux pour me donner l'air d'un être civilisé, et rejoignis Violette et les Vanpeels dans le séjour. Je marchais pieds-nus dans l'escalier. Je préférais vivre dans l'incertitude. Je ne voulais pas être les autres.

Les gamins de l'école bloquaient la circulation. Ils traversaient la route, rangés deux par deux, des sourires fendant leurs visages ronds. J'enfilai mon sac à dos sur les deux épaules et m'intégrai au rang le temps d'une seconde. Et j'appréciai. Je n'étais officiellement plus une enfant, même si quelques traits juvéniles s'attardaient en moi, même si je n'avais pas l'impression d'être plus vieille que ces gamins. Dans ma tête, tout était partagé. J'avais à la fois seize et dix-sept ans, j'étais à la fois froussarde et courageuse. J'aimais et je détestais ma sœur.

J'avais peur et j'étais irrésistiblement attirée par le danger. Un paradoxe vivant.

Une dame – sans doute l'institutrice – me toisait depuis l'arrière du rang. Je m'éloignai des enfants pour prendre le chemin du lycée.

LA ROUTEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant