CHAPITRE 13

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13.

L'herbe haute s'écrasait contre ma vitre. DEG était au fond d'un fossé. Je me redressai vers Loup. Il penchait vers moi, les yeux dans le vague, secoué de spasmes. Je le parcourus du regard, en partant de ses cheveux, où s'étaient logés quelques bris du pare-brise. Puis je descendis le long de son nez. Il se mordait la lèvre si fort, qu'un filet de sang en coulait, suivant la courbe de son menton. Je restais inerte, seul mon esprit fonctionnait. J'avais l'impression de bouillir de l'intérieur sans que mon corps veuille suivre. Quelque chose me brûlait la tempe, à l'endroit où ma tête avait frappé, et mon épaule me faisait terriblement souffrir. Mais je ne quittai pas Loup des yeux. Quelques secondes passèrent, peut-être des minutes. Quand du sang frais jaillit de sa lèvre inférieure, j'eus comme un déclic. Je me redressai péniblement, m'accrochai au siège de Loup et me hissai près de lui.

−Tu m'entends ?

Il gardait son regard fixe, mais je n'étais pas en train de le perdre. Il déglutit, tentant sans doute de maîtriser ses tremblements.

−Allez, tout va bien.

Je posai la main sur la sienne. Je voulais lui témoigner un peu de tendresse, mais alors même qu'il était incapable de parler, de réagir, j'étais toujours aussi maladroite en sa présence. Il avait les poings fermés. Sa mâchoire crispée se dessinait d'une étrange façon sur son visage.

Je m'agrippai au volant et, dans un dernier effort, détachai sa ceinture. Il s'écroula mollement sur moi, m'écrasant contre la portière. Je calai sa tête sur mon épaule. Lorsque ses tremblements cessèrent, je crus que j'avais réussi à le calmer. Mais je m'aperçus bien vite qu'il était inconscient. Il était trop grand, trop lourd, mon épaule me faisait souffrir, mais je ne pouvais plus bouger. Loup avait les yeux mi-clos, la bouche entrouverte. Il était, parfois, parcouru d'un spasme léger, puis retombait dans un sommeil comateux. Je posai ma main sur sa joue, et remarquai avec honte que je frissonnais.

−Reste avec moi, chuchotai-je, et j'essuyai du pouce le sang sur son visage.

Loup pesait sur moi, c'était à la fois douloureux et délectable, je ne pouvais m'empêcher d'être troublée par la proximité de son corps. Puis je me rappelai que nous étions dans une voiture retournée à quatre-vingt-dix degrés, que Loup était sans connaissance, que j''étais sans doute blessée à la tête. Je sombrai dans un demi-sommeil, accablée par les événements.

Je me réveillai brusquement. Ma jambe gauche, celle sur laquelle était maladroitement avachi Loup, me lançait. J'attendis quelques secondes, me forçant à inspirer et expirer profondément, mais, voyant que les décharges ne cessaient pas, je saisis Loup par les aisselles et tentai de le soulever. Manœuvre qui s'avéra impossible. Néanmoins, je parvins à m'extirper d'en-dessous de lui. C'était bizarre de ne plus sentir sa chaleur. Les endroits où ma peau était collée à la sienne me parurent attendris, vulnérables, comme la chair d'un nouveau-né. Je grimpai jusqu'à la portière côté conducteur, qui nous surplombait. Mais impossible de l'ouvrir, elle était bloquée par un éboulement de terre dans le fossé.

−Merde !

Dehors, le ciel était d'un mauve pâle lumineux, parcouru d'ondes indigo et de nuages roses, propres à l'aube et aux soirées d'automne. Aucune voiture ne passait près de nous. Je me sentais enterrée. En abaissant le pare-soleil, je vis mon visage dans le petit miroir. Sur ma tempe, d'une plaie bleuie, coulait un filet de sang. Mon cœur battait fort à cet endroit. Je touchai l''hématome du bout des doigts et grimaçai. Je me laissai glisser comme sur un toboggan et rejoignis Loup au fond du fossé. Paresseusement, je fis glisser mon doigt sur son visage, en partant d'entre ses sourcils, puis en dessinant un huit autour de ses yeux, repassant les sillons blêmes de ses cernes. Mon regard s'attarda sur ses lèvres. Je ne pus résister à la tentation de les toucher. J'étais sûre qu'en un frôlement, je les reconnaîtrais. Celles qui m'avaient – peut-être – embrassée. Alors, délicatement, j'en traçai le contour avec mon pouce. Je ne retrouvai pas cette sensation douce de l'autre soir. Déçue, un peu perdue, je laissai tomber ma tête contre son épaule. Puis, sans réfléchir, dans un acte de désespoir, sans doute, je me redressai et l'embrassai. Il était brûlant. J'étais glacée d'angoisse. Le choc thermique assuré. Malgré le sentiment indescriptible qui irradia mon corps et me tordit les boyaux, malgré le brouillard de mon esprit, je le reconnus. En dépit des meurtrissures et l'inertie. Je n'avais jamais rêvé.

Ce fut la toute première fois où je sentais mon corps pris d'une faiblesse aussi intense. Mes membres ne répondaient plus, je souriais béatement. Mon cœur s'était emballé. Sentant du liquide chaud sur ma tempe et le long de ma joue, je compris que ce qui venait de se passer n'était en rien responsable de mon état. Je fixai mes doigts ensanglantés tandis que ma vue s'obscurcissait. Je perdis connaissance aux côtés de Loup, au fond du fossé. Peut-être pour toujours.


LA ROUTEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant