Lexa - Chapitre 15

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Lexa

Étage comme rez-de-chaussée, les planches fendues et tordues par les années constituaient les sols de cette maisonnette. Étalées de façon irrégulière les unes à côté des autres, de fins espaces entre chaque planche s'étaient créés, me permettant enfant d'observer discrètement ce qu'il se passait sous mes pieds. La fragilité du bois craquait au moindre mouvement, laissant s'échapper quelques grains de poussière entre les fibres écartées, lorsque je m'y allongeai.

L'épaisseur des murs n'entravait pas les ordres donnés à l'extérieur, par ce groupe armé. Ils se répartissaient les tâches, tandis que certains toquaient déjà à la porte, d'autres feraient le tour et y trouveraient forcément Comète à l'arrière. Il ne me restait plus qu'à espérer qu'ils ne reconnaissaient par ce magnifique frison.

Attentive, je surveillai par le « judas » de la salle d'eau, un trou de la taille d'une souris, les intrus réitérer l'annonce de leur présence à la propriétaire des lieux. La porte menaçait de s'effondrer sous leurs coups frénétiques. Mysti se racla la gorge, trouvant sans doute le courage de leur ouvrir. En dépit de ma position, les rayons rasants marquant la fin de journée ne me suffirent pas à les identifier clairement.

— Bonsoir m'dame. On s'excuse d'vous déranger à cette heure tardive, mais on recherche une personne louche en fuite, interrogea un premier homme.

— Vous parlez d'vous ?

La porte acheva sa course abrupte sur une chaussure boueuse. Mon cœur s'affolait à ces voix familières.

— On vous veut pas d'mal m'dame. Mais on aurait quelques questions à vous poser.

— Dégagez vot'pied de ma porte. Il est tard et j'laisserai pas rentrer des inconnus chez moi.

— Coopérez et on vous laissera tranquille, tempera l'homme se tenant à ses côtés.

— Ouais. J'vous conseille de ne pas lutter, on entrera, avec ou sans votre autorisation.

Sous les menaces, Mysti se résigna à les laisser passer, un seul regard me suffit à comprendre son plan macabre. Elle se vantait souvent d'être capable d'éliminer ces « êtres immondes », si l'occasion se présentait. En général, je prenais ça sur le ton de l'humour, car ça n'était jamais arrivé. Mais l'idée que ce jour soit venu me terrifiait. Devrai-je l'en empêcher afin qu'elle n'endure pas ce sentiment affreux d'avoir pris la vie un être vivant, ou n'était-ce pas sa première fois ?

Les hommes firent quelques pas, insouciants de ce danger auquel ils tournaient le dos. Leurs visages enfin éclairés par le feu de cheminée, je les reconnus. Le palefrenier et un autre nativilleois. Comment m'avaient-ils retrouvé ? Nous étions perdus dans les bois, à des heures de marche de tous les villages environnants. A moins de ratisser les Bois du Chêne pendant des jours, ou de s'être sacrément perdu, personne n'aurait pu découvrir par un étrange hasard cette maison. L'existence même de ce lieu n'avait été révélée qu'aux plus proches alliés. M'avait-il trahi ? Cinq jours s'étaient écoulés depuis... Pourquoi venir maintenant, alors que le soleil ne tarderait pas à se coucher ?

Je déglutis, contrôlant une énième envie de vomir.

— Le cheval est là ! hurla l'un des hommes dehors, le son de sa voix étouffée par le claquement de la porte derrière ma tante.

Ils se retournèrent simultanément alors qu'elle saisissait la hache à côté de l'entrée et abattit sa lame sur la nuque de l'homme, qui s'effondra. L'instant suivant, le palefrenier sortit son grand couteau, mais n'eut pas le temps de se défendre. Avec le même élan, elle lui assena un coup de sabot au milieu du torse, le craquement de ses côtes résonna en moi. Les organes broyés, il avait succombé sur le coup gisant comme son comparse dans une mare de sang. Une vague de chaleur étouffante me saisit le crâne, me rappelant l'odeur du sang de Blazewood et ma chair brulée, les yeux emplis de terreur de Griffin et les hurlements dans mes rêves ; le silence se fit lourd à l'annonce de leurs morts. Cette exécution de sang-froid me fit frissonner, un sentiment de malaise s'empara de moi. Je ne savais pas si je devais me sentir terrorisée ou admirative, mais voir ces personnes que j'avais côtoyé une partie de mon enfant, être assassiné de cette manière, après avoir menacé à ma propre vie me bouleversait.

L'ombre d'un loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant