Lexa - Chapitre 6

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LEXA

Les premiers rayons du soleil venaient à peine d'atteindre les fenêtres de l'auberge, quand je repris la route, sans plus une minute à perdre. Les ruelles du centre-ville à cette heure-ci, ne comptaient que quelques travailleurs courageux. Devant le panneau d'affichage, mes yeux zigzaguaient entre les petites annonces d'emploi, de troc et d'invitations à des soirées dansantes.

Alors que je pensais faire fausse route, une toute petite annonce, pas plus grande qu'un quart de ma main attira mon attention. Son papier blanc sale et son écriture manuscrite à peine lisible dénotaient des autres. « Docteur itinérant, sortie est de la ville, sans rendez-vous ». Aucune signature, pas de nom. Les médecins itinérants ne couraient pas les rues, j'espérais donc avoir mes chances à celui-ci. Souvent assimilés à des charlatans, les docteurs sans cabinet fixe ne pouvaient être pris au sérieux. Les études s'avéraient si difficiles et élitistes, qu'il semblait inconcevable de ne pas profiter du fruit de ses efforts et des avantages que ce métier offrait. Pourtant, certaines personnes décidaient de faire passer les autres en priorité, s'oubliant dans cette cause humanitaire. Comme ma mère et docteur Héloyse.

Je compris assez vite que j'étais bien au lieu du rendez-vous en voyant quatre personnes attendre les unes derrière les autres.

Le mode de vie de ce médecin divergeait grandement du nôtre. Ma mère faisait les consultations à domicile des patients et nous dormions dans des auberges sur place, comptant sur la bienveillance d'autrui. Tandis que le Docteur Héloyse déplaçait sa maison, à travers les villages.

Sa roulotte en bois, dont la peinture servait de cache-misère, me faisait penser à un tonneau géant. Les lambeaux de peinture et la rouille sur les roues ne faisaient qu'accentuer la pauvreté de ce cabinet de fortune, de quarante années de bons et loyaux services. Un cheval attaché à l'arbre à côté broutait paisiblement l'herbe accessible, tandis que du linge taché séchait sur une branche en contrebas. Cedit tonneau semblait vibrer, au fil des pas hâtifs des occupants dissimulés par la porte close.

Je ne pris pas le temps de détailler les prochains patients devant moi, mais aucun ne semblait agonisant. Un cri retentit, suivi d'un long juron étranglé, qui me donna la chair de poule. Que faisait ce médecin à ce pauvre homme ? Des murmures s'éveillèrent, je n'étais pas la seule à me poser la question. Quand la porte s'ouvrit enfin après un long silence, un vieillard dévala les marches en s'appuyant sur sa canne qui remplaçait sa jambe invalide. Il partit en grommelant, la main sur sa mâchoire gonflée.

Le médecin sortit sur le pas de sa porte, balayant d'un coup d'œil furtif l'assemblée.

— Au suivant !

Le patient concerné s'avança vers elle.

— Excusez-moi ! Docteur Heloyse ?

J'avançais sous les protestations modérées des autres patients. Cette femme à la peau des natifs de la région, dorée par le soleil, elle me détaillait de bas en haut, maintenant le pincement de ses lèvres, comme si elle se retenait de dire ce qu'elle pensait. Ses rides liées à son âge avancé se plissèrent aux coins de ses yeux d'un bleu hypnotisant, tandis qu'elle me jaugeait avec agacement.

— Oui, un problème ?

— Non ! sursautai-je par tant de prestance. Enfin, si, j'ai besoin de votre aide !

— Comme toutes les personnes présentes ici, jeune fille. Apprends à patienter.

Je ne devais pas être âgée de plus de sept ou huit ans la dernière fois que nous nous sommes vus. Néanmoins, j'espérais qu'elle ne me reconnaisse pas. Pas pour le moment en tout cas. Bien qu'ancienne consœur de ma mère, leur amitié se brisa en même temps que sa carrière, à la suite des interdictions émises par les Saints. N'en connaissant pas tous les détails et d'après les paroles de ma mère, l'évocation de son nom imposerait un refus systématique. De ce fait, j'attendrai le moment opportun pour le lui dire, après avoir vérifié sa tolérance envers notre peuple et ses réels sentiments à son égard.

L'ombre d'un loupOù les histoires vivent. Découvrez maintenant